Quelques exemples d’appropriation du numérique au sein de projets culturels
MUSÉE DU PAPIER D’ANGOULÊME
Charles-Alexandre Delestage
J’ai travaillé sur un projet de recherche avec le Musée du Papier d’Angoulême, musée assez particulier qui se trouve dans une ancienne usine de fabrication de papier datant du XIXe siècle et qui a fermé dans les années 70. Elle est située sur le fleuve Charente, avec le parcours d’exposition principal à l’emplacement des roues à aube. Donc je vous laisse imaginer, en hiver, les conditions de visite, pas très semblables à celles d’un musée classique, mais plutôt compliquées : le bruit de l’eau, une certaine humidité, etc.
Plus d’infos sur le site du Musée du Papier d’Angoulême : https://maam.angouleme.fr.
Le public familial est un public qui intéresse énormément les musées, et notamment le Musée du Papier. Le laboratoire de recherche FAB®ICC a donc monté un partenariat et travaillé sur un cadre conceptuel sur le suivi des visites familiales interactives.
Dans l’idée, il y a deux tablettes, une pour le parent, une pour l’enfant, et chacun a son rôle. Le parent « prend la place » du médiateur culturel, il va avoir accès à toute une série d’informations – notamment des images d’archives –, et l’enfant va avoir des contenus beaucoup plus ludiques – des petits jeux, des scènes animées avec des marionnettes de papier pour avoir un effet visuel très attractif. Sur certaines parties du musée, on a apporté de la vie à des éléments d’exposition, par exemple une maquette d’un moulin à papier du XVIIe siècle. On a fait réaliser des animations en stop motion qui décrivent les différentes étapes de fabrication du papier de l’époque et qui sont intégrées dans l’application de façon très didactique pour faire comprendre, à l’enfant et aux parents qui disposent des mêmes animations, comment fonctionnait le principe du papier à l’époque. Et vu qu’ils ont à la fois la maquette devant eux, les animations et qu’ils sont amenés à partager, à échanger, à interagir ensemble autour de ce dispositif – par nature transmédia –, on a eu d’excellents retours lors de la période d’évaluation avec une quarantaine de familles vis-à-vis de ce type de médiation. Parce que le numérique n’était pas juste une extension de cartels juxtaposés l’un à côté de l’autre avec 2-3 images d’archives en plus.
Quand je vous disais que le numérique n’était pas par nature innovant : simplement, faire une application pour mettre une juxtaposition de cartels pour une visite de musée, ça n’a rien d’innovant ; tandis que proposer des contenus qui sont adaptés sur-mesure au parcours du musée, là il y a nécessairement une valeur ajoutée. D’autant plus si ces contenus sont interactifs d’un point de vue individuel mais aussi du point de vue de la famille et qu’ils permettent le « faire-famille » : en cela, le numérique, vu qu’il coordonne tous ces espaces-là, donne une réelle plus-value.
QUEL EST L’IMPACT GENERE PAR CET OUTIL DANS LE RAPPORT A L’OBJET OBSERVE ?
Charles-Alexandre Delestage
Par rapport au Musée du Papier d’Angoulême, dans le cadre de l’étude, on suivait les personnes qui visitaient le musée avec la tablette. Il y a une grille d’évaluation pour voir s’il y a de la communication verbale / non-verbale, regarder les comportements pour savoir si l’enfant n’avait pas les yeux rivés sur la tablette sans regarder autour de lui – ça n’a globalement pas été le cas. Après, cette étude ne reste qu’un exemple. Les exemples ne sont jamais bons à généraliser.
Donc, je ne vais pas garantir que le numérique permet de mieux regarder le musée. Il y a toujours le risque de voir l’attention complète d’un spectateur portée plus sur l’objet numérique que sur l’objet à observer. Tout dépend de la façon dont le dispositif numérique s’intègre dans la visite du musée. Cet exemple de type de médiation a été transposé en cadre conceptuel mais ça ne garantit évidemment pas les mêmes résultats, tout dépend de la mise en projet.
Hélène Marie-Montagnac
Pour répondre à la question de l’attention, il semble qu’en réalité cela ait peu à voir avec les musées ou autres structures culturelles, mais que nous sommes tous dotés de smartphones : ce que nous constatons, par exemple dans des concerts, c’est que certains publics peuvent d’abord se préoccuper de filmer ou de photographier, et d’être du coup bien davantage en interaction au travers de cet outil – un outil qui constitue sans doute un obstacle à une relation émotionnelle directe à l’objet pour lequel ils sont venus, que ce soit dans un musée, dans un concert ou autre.
Cette question de la médiation se pose pour les outils qui sont mis à disposition, mais en dehors même de ces outils, nous avons tout un chacun instauré notre propre écran et là, le terme prend tout son sens par rapport à ce que nous vivons autour de nous.
Charles-Alexandre Delestage
C’est vraiment une question d’usages, et il y a tout un pan de la recherche qui se développe en ce moment autour du design d’expérience. Même si on prévoit que la personne passe à tel endroit du musée avec telle interaction avec un outil numérique, une installation lumineuse… la personne fera de toute façon ce qu’elle veut.
On ne peut pas la diriger et c’est peut-être pas plus mal non plus. Si cette personne considère que passer un moment dans le musée rivée sur une tablette lui donne plus de plaisir que de prendre du temps à regarder les œuvres, c’est son choix. Et ça ne présuppose pas forcément que passer trop de temps sur son téléphone implique une mauvaise expérience.
Monica Paredes
Le rapport est différent quand on utilise un outil numérique car on crée un autre lien que celui que le médiateur a l’habitude de créer, parce qu’il y a une appropriation de l’œuvre différente de celle qu’on a l’habitude de voir. Il faut changer la manière de penser la création de la relation pour apprécier différemment l’œuvre.
L’ODYSSEE DE PENELOPE
Monica Paredes
J’ai pu travailler sur l’étude du dispositif transmédia sur l’Odyssée de Pénélope, un dispositif inventif et précurseur qui accompagne Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi. Ce projet a utilisé une nouvelle forme de narration qui a utilisé différents médias pour développer un univers ou raconter une histoire. De par leur spécificité d’usage et leur technologie, chaque support employé (site web, mobile, tablette, jeu vidéo, etc.) a développé un contenu narratif différent, offrant au public un regard nouveau et complémentaire sur l’histoire.
Plus d’infos ici :
Ce projet a été perçu comme très intéressant par les étudiants qui ont porté le dispositif, parce qu’ils se sont approprié l’œuvre avec une interprétation très différente du champ classique. Ils se sont rendus compte que cet opéra, qui est une pièce contemporaine, n’avait pas le côté suranné de l’opéra. Ils ont eu ensuite la sensation de ne pas avoir eu assez d’interactions avec les publics et se sentaient assez isolés dans le portage de la médiation, leur travail étant plus lié pour eux à de la communication qu’à de la médiation. Par ailleurs, il n’y a pas eu de différenciation entre ces deux axes sur ce projet parce qu’ils souhaitaient une interaction au-delà des groupes qui y participaient – 120 étudiants –, mais cette interaction n’a pas émergé avec d’autres groupes de publics.
Un problème a été également soulevé sur le manque d’interaction sur ce projet entre les équipes de la structure culturelle, sur l’absence de partage de compétences entre médiateurs et chargés de communication autour de l’aspect novateur de ce projet. Il est important de se fixer des objectifs et de prévoir quel type de relation vous voulez créer en interne et avec les publics.
Charles-Alexandre Delestage
Ce qu’il y a de compliqué dans un projet numérique culturel, c’est de faire se parler des domaines qui, par nature, ne se parlent pas beaucoup, par exemple des musées spécialisés en médiation et des studios de création de contenus créatifs et de communication graphique. Tout l’enjeu est de partir de sémantiques différentes pour faire un langage commun.
Autre élément, avec le numérique, il ne faut pas se poser de barrières ni se poser la question si ça existe ou pas. Quand on passe à la conception du projet, on voit s’il y a des verrous technologiques ou pas, et s’il y en a, on attend deux ans et il n’y en a plus.