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Les outils numériques favorisent-ils le lien entre BD et jeu vidéo ?
Les univers de la bande dessinée et du jeu vidéo partagent de nombreux points communs. Que ce soit au niveau des outils de créations, des sensibilités artistiques, des ambiances graphiques, ou des axes narratifs. À travers les projets transmédias, de nombreux livres servent de sources pour le jeu vidéo et, à l’inverse, des logiciels voient leur univers étendus dans des pages de bandes dessinées.
Pourtant, dans ses premiers balbutiements, le jeu vidéo n’a pas vocation à puiser dans les univers de la bande dessinée. Issu des milieux technologiques, l’art vidéoludique naît dans les années 50, grâce à la passion d’ingénieurs informatiques qui cherchent à pousser le médium sur lequel ils travaillent habituellement afin d’offrir une interaction ludique aux utilisateurs. Vingt ans plus tard, les éditeurs de jeu vidéo proposent les premières consoles de salon et avec leur succès grandissant, l’ordinateur devient peu à peu un média de détente au même titre que la télévision. Le loisir électronique cible longtemps le jeune public ce qui le catégorise comme un loisir de niche pour la jeunesse. Ce phénomène va toutefois pousser les studios à adapter en jeux vidéo les bandes dessinées les plus appréciées par les jeunes.
C’est le cas au Japon où l’explosion de l’industrie vidéoludique à l’orée des années 80 a entrainé de nombreux développeurs à s’inspirer des créations manga pour livrer des jeux susceptibles de plaire au grand nombre de fans. Rapidement, les lectures populaires des jeunes publics deviennent des jeux à succès dont certains arrivent plus discrètement en Occident. Depuis, cette pratique se développe sans jamais décélérer. Parmi les grands noms, on note du côté du comics des mastodontes comme Spider-man avec plus de 37 jeux édités depuis 1982 ou Batman qui en comptabilise déjà 43. La BD franco-belge n’est pas en reste avec les adaptions des classiques Tintin, Lucky Luke ou encore Les Schtroumpfs déclinés en plus de 20 jeux de 1982 à aujourd’hui. Et bien sûr Astérix dont le premier jeu parait en 1983 et compte depuis 39 itérations sur consoles et portables. Du côté du manga et du webtoon, les titres fleurissent à une telle vitesse qu’il semble déraisonnable de vouloir les comptabiliser. On remarque sur le marché français que les jeux adaptés des grandes licences comme Naruto ou One Piece demeurent des succès solides.
De nos jours, le marché du jeu vidéo comme celui de la bande dessinée enregistrent des records de progression jamais vus. D’après le rapport du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, l’industrie du jeu vidéo en France signe en 2021 une nouvelle performance record, avec un chiffre d’affaires de 5,6 milliards d’euros. C’est une progression de +1,6% par rapport à 2020 qui avait déjà été une année exceptionnelle. Sur deux ans le marché a évolué de 13,5%. Il semble évident qu’un titre, film ou œuvre à succès dans les loisirs jeunesse sera décliné en jeu quelle que soit sa plateforme de diffusion (jeu mobile, console, PC, interactif). Cette logique découle de l’analyse des profils du public jeunesse, qui se régale de contenus multimédias (une histoire déclinée sur plusieurs supports) et d’œuvres transmédias (une histoire racontée à travers différents supports qui la complètent sur un plan narratif plus large).
Interactions entre la bande dessinée et le jeu vidéo
Grâce à la reconnaissance artistique du média jeu vidéo depuis 20 ans, les studios et éditeurs de jeux s’attellent à proposer des expériences transmédias avec une ambition encore plus légitime. Si autrefois quasiment tous les titres populaires étaient transposés dans un souci de fidélité plus ou moins scrupuleux, aujourd’hui les attentes du public ont changé. Les studios proposent des jeux qui étendent les univers des personnages connus pour délivrer une expérience propre à la grammaire interactive du jeu. Avec la technique du Cel Shading développée dans les années 2000, le jeu vidéo renforce sa volonté de se rapprocher du monde de la bande dessinée. Cette technique de texturing (désigne des textures c’est-à-dire des images en haute définition qui habillent des modèles 3D pour donner une impression de relief) a un rendu très proche du style de la ligne claire (un style caractérisé par des les personnages détourés d’un trait marqué et d’une absence de dégradé dans la mise en couleur) a encouragé les développeurs de jeux à adapter avec plus d’authenticité les grands noms de la bande dessinée. À titre d’exemple, le jeu XIII sorti en 2003 chez Ubisoft puis sous forme de remake en 2021 par Microïds, a grandement été salué pour son rendu fidèle au matériel d’origine. Aussi, les jeux The Walking Dead, Batman ou Fable du studio Telltale Games (qui a fermé ses portes en 2018) s’appuient sur cette technique pour offrir une expérience de jeux à choix multiples dans une atmosphère graphique propre aux comics books.
De la même manière, une gamme plus variée de bande dessinée, et plus seulement les plus grandes licences mondiales, viennent embrasser les codes du jeu vidéo pour fournir de nouvelles expériences. C’est le cas de S.E.N.S, un jeu vidéo en réalité virtuel proposé par Arte et inspiré de la bande dessinée éponyme de Marc-Antoine Matthieu.
Pour approfondir notre sujet, nous avons fait appel à Emmanuel Nouaille pour témoigner de son expérience professionnelle de directeur artistique dans les sociétés de jeux vidéos. Ses propos sont traités en orange tout au long de cet article afin de les distinguer de ceux de Pierre Pulliat, rédacteur du dossier BD et Numérique.
La création graphique dans le jeu vidéo
Durant les années 80, les jeux, moins complexes, étaient réalisés par des équipes de petite taille ; il n’était pas rare que des jeux soient réalisés par une seule personne. La puissance des ordinateurs/consoles de l’époque ne permettait pas de proposer des graphismes très complexes. Il arrivait donc souvent que les créateurs de jeu gèrent à la fois la partie technique/programmation et la partie artistique.
Fin des années 80 et début des années 90, le jeu vidéo s’est industrialisé. Les ordinateurs/consoles montent en puissance, les projets deviennent plus ambitieux, plus complexes, graphiquement plus riches et plus beaux nécessitant des équipes plus étoffées avec des corps de métiers spécialisés :
- chef de projet (managers pour gérer la direction du jeu, les plannings et coûts),
- programmeurs (pour gérer la partie technique du projet, le moteur du jeu, intégration du contenu produit pour le jeu),
- artistes 2D/3D et animateurs (qui produisaient les personnages, ennemis, décors, effets spéciaux, interfaces),
- les game designers (qui s’occupaient des règles du jeu, de la fabrication des niveaux, etc.),
- des musiciens qui géraient à la fois le sound design et les thèmes musicaux du jeu.
Cette industrie étant encore très jeune, il n’existait pas d’école de jeu vidéo, de cursus permettant à des étudiants d’apprendre la maîtrise des logiciels 2D ou 3D à destination du jeu vidéo. Les premiers artistes de jeux vidéo étaient avant tout des artistes autodidactes avec une très haute maîtrise technique des logiciels, des pionniers du développement mais qui pouvaient manquer de maîtrise artistique académique.
Pour palier au manque de main d’œuvre graphique au début des années 90, les sociétés ont recruté principalement des artistes traditionnels pour les former et pour qu’ils puissent exprimer leur talent avec des logiciels 2D/3D aussi aisément qu’ils le faisaient sur du papier avec une plume et de l’encre de chine. Je parle de sélectionner des profils artistiques susceptibles de correspondre aux univers de jeu vidéo en développement autant qu’à amener ces dessinateur à pousser leur propre style pour développer de nouveaux univers de jeu, faire émerger de futurs auteurs/créateurs de jeu.
On recrutait des dessinateurs de bandes dessinées, illustrateurs ou animateurs 2D qui avaient effectué leurs études dans des écoles dédiées (Saint-Luc en Belgique, Emile Cohl à Lyon, Gobelins à Paris, CNBDI à Angoulême, etc.).
Le jeu vidéo a permis au début des années 90 à une génération de dessinateurs de développer leur art dans ce milieu avant de faire de la bande dessinée en tant qu’auteur.
Dans le cas de la société Kalisto, où je travaillais entre 1995 et 2002, plusieurs dessinateurs ont débuté leur carrière dans le jeu vidéo comme artiste 2D, concept artist, 3D artist ou animateur avant d’effectuer des carrières plus ou moins longues dans la bande dessinée. Je pense à Jérôme D’aviau de Piolant, à Marc Moreno, à Aleksi Briclot, à Ludovic Dubois, à Pierre Mon Chan, à Didier Poli, à Marie Deschamps, mais aussi à des dessinateurs devenus scénaristes de bandes dessinées, comme Jean-Luc Sala, Serge Meirinho, qui travaillent également dans des sociétés de jeu vidéo comme directeurs artistiques.
Pour nombre d’artistes ayant travaillé dans le jeu vidéo, la durée de production d’un jeu, la contrainte d’un travail en équipe, le fait de se mettre au service d’un projet dont les contraintes peuvent être nombreuses (artistique, éditoriale, technique, économique, calendaire) et qui peut amener à diluer leur travail (voire leur talent), ont poussé et poussent de nombreux artistes à faire des allers-retours entre l’industrie du jeu et d’autres supports artistiques.
Ainsi on peut identifier plusieurs catégories d’interactions entre les univers de la bande dessinée et du jeu vidéo :
D’emblée, nous écartons les jeux de type Visual Novel. Ces logiciels se présentent sous la forme de romans illustrés interactifs proposant aux utilisateurs des choix multiples pour progresser. Ce type de jeu peut très bien plaire à une large gamme d’amateurs de lecture mais a peu de connivence avec la grammaire de la bande dessinée. Dans la pratique, le Visual Novel se rapproche finalement des expériences similaires aux romans dont vous êtes le héros avec une dimension multimédias.
• Les adaptations peuvent être issues du livre et tournées vers le jeu (comme les exemples cités plus haut) mais aussi, à l’inverse, un logiciel peut devenir un livre comme les Lapins Crétins (coédition Ubisoft Glénat) ou Pokémon. Ces titres reprennent les histoires et les univers de l’œuvre originale sans modifier la charte graphique ou la trame narrative de l’histoire. Les enjeux artistiques se focalisent sur la fidélité au matériel d’origine puisque ces déclinaisons visent avant tous les fans. À ce titre le Japon remporte la palme mondiale des adaptations de jeux sous forme de manga, tous les grands éditeurs tels que Nintendo, Square Enix, Altus et consorts voient leurs créations déclinées dans le format livre. Récemment, on notera que les titres Batman Fortnite : Fondation et Batman Fortnite : Point Zero mélangent les univers du jeu à succès d’Epic Game et celui de Gotham City (Urban Comics). Ce mélange crossmédias est particulièrement réussi et les titres se placent aux meilleures ventes comics de l’année 2021.
L’éditeur français Microïd est l’un des plus prolifiques studios à décliner des œuvres issues des grands catalogues de la bande dessinée franco-belge. Citons à titre d’exemple le dernier jeu Astérix Baffez les tous sorti en 2021 ou bien des titres plus anciens comme Les Sisters Show devant, Les Tuniques Bleues Nord Sud et Blacksad Under the skin.
• Transmédias : théorisées en 2003 par le chercheur américain Henry Jenkins, les œuvres transmédias sont caractérisées par « un processus dans lequel les éléments d’une fiction sont dispersés sur diverses plateformes médiatiques dans le but de créer une expérience de divertissement coordonnée et unifiée ».
Un univers narratif est donc nourri par des œuvres complémentaires de natures diverses (livre, application, jeu vidéo, podcast…) proposées sur plusieurs supports physiques ou dématérialisés. Parmi les œuvres emblématiques du genre, la licence Star Wars est régie selon ces critères. Les comics, séries TV, films et jeux sont conçus pour s’articuler dans le même espace narratif mais à des époques diverses et vus à travers des personnages variés. C’est aussi le cas de la licence Assassin’s Creed de l’éditeur Ubisoft dont l’univers s’étend à travers des bandes dessinées, des mangas, de l’animation, des expositions interactives et bien sur une série de jeux vidéo qui compte actuellement 12 épisodes depuis 2007. L’éditeur Ubisoft a d’ailleurs annoncé en 2021 une recrudescence de projets transmédias issus de leur large catalogue de licences à destination de diverses plateformes.
La définition du transmédia est sujette au débat, et d’autant plus dans les filières de la BD et du jeu vidéo. Pour aller plus loin, vous pouvez consulter l’article dédié ci-dessous.
Les licences pour la création d’un jeu ou d’une bande dessinée
Je ne possède pas de chiffres sur le coût d’achat d’une licence de bande dessinée pour la création d’un jeu vidéo mais je sais en revanche que la création d’un jeu vidéo coûte très cher, que la part dédiée à la conception d’un jeu (qui inclut la création de l’univers, celle de l’histoire et de ses personnages, etc.) est la plus importante car celle-ci peut s’étaler sur plusieurs années avant d’être validée (d’un point de vue éditorial, marketing, etc.) et que la qualité d’un jeu (aussi génial soit t-il) ne garantit pas son succès auprès des joueurs ni sa reconnaissance auprès du grand public.
De plus, créer une licence demande beaucoup de temps. Le temps de la conception est plus long que le temps de fabrication, car, avant d’avoir la certitude que le jeu va plaire, ça demande X itérations, parfois plusieurs équipes créatives, des protos à profusion, etc. Le premier Assassin’s Creed a dû demander 7 ans de développement, peut-être plus. Les suites sont sorties de manière plus régulière ensuite car la base avait été posée mais le premier devait répondre à de nombreuses attentes éditoriales et marketing, démontrer que le jeu pouvait séduire le marché américain, être novateur au niveau gameplay et technologie, etc.
Stratégiquement et financièrement parlant, il peut être plus intéressant pour une société de jeu vidéo de payer pour l’utilisation d’une licence (Batman, Tintin, Les Schtroumpfs, Spiderman, etc) afin d’assurer de toucher un public cible, large.
Mais aussi pour évaluer en amont un nombre de ventes garanti, de maximiser l’impact d’un investissement marketing, d’être visible sur les stores en ligne ou dans les rayons des magasins, de surfer sur la hype d’un personnage, d’une actualité et pour que la société de développement ne concentre son savoir faire que sur la qualité du jeu, et uniquement sur cela.
Dans les années 80 et 90, le chiffre d’affaires du jeu vidéo était nettement moins important que de celui de nos jours, les licences de bande dessinée certainement moins chères également car les maisons d’édition détentrices des droits avaient une idée assez fausse ou basse des revenus engendrées par le jeu vidéo.
Cela restait malgré tout un deal intéressant pour les deux parties.
- Pour le possesseur de la licence, un jeu vidéo restait un moyen de faire exister sa licence auprès d’un public de joueurs qui pouvaient ne pas ou mal connaître la bande dessinée dont la licence était issue ; et donc potentiellement attirer de nouveaux lecteurs, générer des ventes supplémentaires ou relancer une actualité faible.
- Pour les sociétés de jeu vidéo, une licence de bande dessinée permettait de sécuriser ou garantir un nombre de ventes minimum du fait de la notoriété d’une licence, une plus grande visibilité marketing, et, surtout, cela permettait de pallier au manque de compétences en interne en matière de création de propriété intellectuelle.
Même avec des équipes ultra motivées et compétentes, il n’y a pas d’artistes dans toutes les sociétés de jeu vidéo capables de rivaliser avec Hergé ou Bob Kane ou de créer des personnages aussi célèbres que Tintin ou Batman sur commande.
Je dirais que, depuis le début des années 2000, les éditeurs ont conscience de la richesse des licences qu’ils possèdent.
Quand une série de jeu fonctionne, c’est un fond de roulement infini, un back catalogue à rentabiliser en créant des portages, en faisant des remakes, des suites, en jouant sur la nostalgie du retro gaming, en faisant des partenariats avec d’autres sociétés, etc.
Autres passerelles entre la filière de la bande dessinée et celle du jeu vidéo
• Il existe aussi des jeux qui, soit par leur gameplay (le terme désigne les manières dont le logiciel se joue), soit par leur approche artistique (chara-design, background, ambiance générale…), évoquent l’univers de la bande dessinée. Les retro-gamers se souviennent de Comix Zone, sorti sur Mega Drive en 1995, un jeu remarquable par son ambition de proposer de « jouer » une bande dessinée d’action délirante. Dans les faits, les dialogues sont présentés sous forme de bulles et des cases apparaissent à l’écran afin de faire avancer le héros qui est un dessinateur de comics au nom évocateur de Sketch Turner, enfermé dans les pages de sa propre création. Le méchant du jeu, lui, a quitté les pages du comics pour entrer dans notre dimension et n’hésite pas à utiliser la plume ou l’effaceur quitte à briser le 4e mur afin de ralentir la progression de notre personnage durant le jeu.
Cependant, les similitudes avec les codes du 9e art s’arrêtent là, l’avancée du héros ne suit pas un chemin linéaire dans lequel le joueur peut progresser vers différentes directions. De plus, le gameplay se résume à un jeu de type Beat-em all (un jeu de combat contre de multiples ennemis) avec une dimension scénaristique finalement plate.
En 2011, l’artiste Paul Tumelaire débute un projet de jeu autour de la Première Guerre mondiale mais délaisse l’aspect graphique réaliste et le gameplay tourné vers l’action de ce type de production pour offrir une approche générale inspirée par la bande dessinée. 3 ans plus tard, Soldats Inconnus sort chez Ubisoft et reçoit de nombreuses éloges pour sa direction artistique dessinée manuellement et sa véracité historique. Régulièrement des illustrateurs de bandes dessinées prêtent leur patte artistique aux studios de jeux vidéo. C’est le cas outre-Atlantique de Doug TenNapel sur Eathworm Jim ou encore de la trilogie Darksiders dont l’univers graphique est signé Joe Madureira.
Côté Japonais les collaborations sont nombreuses et les mangaka sont régulièrement mis à l’honneur. En 2007, Takehiro Inoue réalise la direction artistique du jeu de rôle Lost Odysée du studio Mistwalker ou plus récemment Inio Asano et Yûsuke Kozaki en chara-designers sur le soft No More Heroes III (sorti en 2021). De la même manière, le studio basé à Montpellier, The Game Bakers invite en 2016 le mangaka Takashi Okazaki pour livrer un chara-design d’anthologie aux différents protagonistes du jeu Furi. Sorti au début de l’année 2022 Syberia : The World Before est le 4e épisode de la saga initiée par Benoit Sokal en 2002 éditée par Microïds. Auteur reconnu dans le milieu de la bande dessinée pour les séries emblématiques que sont Canardo ou kraa, Sokal débute dans les années 90 une carrière de développeur de jeux vidéo qui se concrétise avec la sortie du jeu culte Amerzone en 1999 puis de la saga Syberia. Décédé en 2021, l’auteur s’est investi pleinement dans le dernier jeu de la série coréalisé avec Lucas Lagravette pour accomplir un superbe ultime épisode sombre et mélancolique.
• Du côté de la librairie, nous avons évoqué les bandes dessinées qui étendent les univers des jeux éponymes, les adaptations de BD en jeu vidéo, mais il existe aussi une catégorie de livres qui témoignent de l’expérience du joueur. L’un des titres les plus évidents est bien sur Kid Paddle édité chez Dupuis. Si la patte humoristique de Midam fait mouche chez le jeune public, en revanche le joueur confirmé ne trouvera que peu de réels éléments concernant le gaming et encore moins d’identification avec les personnages caricaturaux du titre. La bande dessinée du Youtubeur Le Joueur du grenier édité par Hugo & Cie présente sa jeunesse d’hardcore gamer qui dédie son temps libre aux loisirs vidéoludique. Le narrateur partage avec nostalgie ses souvenirs et anecdotes bercés par les grands softs des années 90. Même retour d’expérience du côté du japon avec Bip-Bip Boy publié chez Omake Book où le mangaka raconte sa passion sincère pour le jeu vidéo dans les salles d’arcades japonaises des années 80. La thématique du jeu vidéo est actuellement en vogue dans le manga avec la recrudescence d’œuvres de type Isekai. Ces titres comme Sword Art Online chez Ofelbe depuis 2015 ou plus récemment In The Land Of Leadale sorti en 2022 chez Doki Doki présentent les aventures de joueurs « enfermés » dans le monde de leur jeu préféré (des jeux fictifs mais inspirés par les grands classiques). Ils progressent dans le manga grâce à des codes issus des jeux de rôle ou d’action et ainsi créent une forte identification chez le lecteur/joueur qui connaît lui aussi les règles qui régissent ces mondes.
Exemple d’un projet néo-aquitain à la croisée entre BD et jeu vidéo.
Entretien avec Aymeric Castaing, co-fondateur d’Umanimation
Afin de compléter cet article nous avons recueilli les propos d’Aymeric Castaing co-fondateur de la société de production Umanimation XR basée à Pessac.
Umanimation a de nombreux projets en développement dont deux particulièrement attendus par les fans de bandes dessinées et de jeux vidéo. Le premier est l’adaptation sous un format de cinéma immersif du livre Shangri-La de Matthieu Bablet paru chez Ankama et le second est le jeu vidéo Dordogne qui invite le joueur à visiter la région à travers une ballade sensitive et délicate.
Après avoir travaillé des années dans l’animation, Aymeric ressent très vite les limites du média et regrette de voir des quantités de travail perdu au lieu d’être réutilisées pour raconter d’autres histoires sur différents supports. Avec cette envie de proposer :
« des narrations mixtes et organiques au service d’un univers commun où chaque partie ne serait plus le dérivé ou le sous-produit mais un prolongement naturel de l’histoire qui renforce l’implication de l’utilisateur »
Il lance la start-up Umanimation en 2017.
La jeune société est notamment en charge de la production de la série d’animation Globozone, 10 épisodes de 2min 30 disponible sur le net en coproduction avec Arte réalisée avec le moteur graphique Unity. Selon lui :
« Unity est un outil polyvalent pour travailler aussi bien l’animation que développer un jeu vidéo grâce à la réutilisation d’asset (des éléments graphiques ou des modèles 3D réutilisables sous la forme d’une banque de données) qui offre un grand champ de possibilités dans le storytelling »
Depuis Umanimation lance différents projets notamment un jeu vidéo Globozone et intègre de nouvelles branches afin de répondre à la vision transmédias insufflée par Aymeric :
- UMANIMATION qui mène plus de 10 projets artistiques, linéaires et interactifs, à destination de la télévision, du web et des nouveaux médias immersifs en XR (en réalité étendu) autour des technologies de réalité augmentée et virtuelle. C’est l’équipe qui prépare l’expérience immersive autour du titre Shangri-la.
- UN JE NE SAIS QUOI : un studio de création qui développe des projets audiovisuels et vidéoludiques dans le style graphique tout en aquarelle de Cédric Babouche. C’est cette branche qui prépare le jeu Dordogne.
- MECANIMATION : utilise les outils technologiques (expériences en réalité virtuelle, applications mobile…) pour proposer des solutions à destination des professionnels notamment en termes de formations.
- NARACTIVE : un projet de plateforme destiné aux contenus narratifs interactifs permettant d’accéder à tous types de contenus (linéaires, jeux vidéo, réalité virtuelle…) depuis n’importe quel navigateur internet.
En 2017, Aymeric découvre la bande dessinée Shangri-la qui l’emporte totalement. Il a eu envie de ne pas laisser cette histoire enfermée dans le cadre d’un album et souhaite l’étendre à une vision plus large inspirée par le travail interactif de la compagnie de théâtre britannique PunchDrunk. Il lance un crowdfunding en 2020 et développe un partenariat avec le Collectif Or Normes et De La Romance. Le projet est suivi de près par l’auteur original, nécessite un travail minutieux de motion design (découpage des éléments 2D des planches originales pour en faire des éléments en simili 3D) et de création d’un environnement spatial et musical. Afin de brouiller les sens, un dispositif est pensé autour d’une salle comprenant 4 écrans géants et des fauteuils amovibles pour offrir une sensation d’apesanteur. Une application est aussi en développement pour importer le contenu du téléphone portable d’un personnage du livre sur celui de l’utilisateur afin de renforcer la dimension réaliste.
Ce projet a été soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine dans le cadre de l’appel à projets Cultures Connectées 2018.
Dès son annonce, le jeu vidéo Dordogne a été particulièrement remarqué dans la communauté du jeu vidéo indépendant. Le jeu est un projet initié en 2018 par Cédric Babouche sous le label Un Je Ne Sais Quoi. L’artiste s’associe avec Umanimation qui peut l’aider à réaliser son œuvre. Le jeu promet une ambiance immersive par le biais d’un gameplay qui privilégie l’exploration et une ambiance graphique faite d’aquarelles délicates et chaleureuses. La sortie du titre est attendue pour la fin d’année 2022 et déjà Umanimation réfléchit à la création d’une bande dessinée qui servirait de préquelle au jeu et d’un court métrage animé qui reprendraient la patte artistique et des éléments déjà créés pour le soft.
Nous le voyons, que ce soit au sujet de l’appétence grandissante du public pour les domaines des jeux vidéo et de la bande dessinée ou au niveau des avancés technologiques qui permettent des transitions plus organiques entre les univers, les mondes du 9e et du 10e art sont amenés à communiquer de plus en plus afin de créer des univers imaginaires denses. De plus, les supports technologiques permettent aux utilisateurs de jouer ou de lire sur les mêmes dispositifs et renforcent ce sentiment de décloisonnement entre ces deux arts en perpétuelle émergence.
Article réalisé en collaboration avec Pierre Pulliat,
Formateur/enseignant Bande dessinée à l’École de la Librairie ;
Rédacteur magazine BD manga comics à Biblioteca ;
Libraire (Bédélire, Pulp’s, Aaapoum Bapoum).