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Le transmédias : une définition et un périmètre qui font débat

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Temps de lecture 5 minutes

Définir les contours d’une œuvre transmédias n’est pas chose aisée. Certes, les dictionnaires en proposent une définition mais pour autant chacun l’interprète sa façon. Pour nourrir ce constat, nous ouvrons ce sujet avec une discussion croisée sur les œuvres transmédias issues de la bande dessinée ou du jeu vidéo.

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Photo by Volodymyr Hryshchenko – Unsplash
Discussion croisée

entre Emmanuel Nouaille, directeur artistique jeux vidéos, et Pierre Pulliat, Formateur/enseignant Bande dessinée à l’École de la Librairie.

Emmanuel Nouaille : À mon sens le transmédia, tel que théorisé par Henry Jenkins, et qui présente l’idée d’une expérience unifiée et coordonnée sur différents supports, n’a que peu été développé dans le jeu vidéo (sur la base de licences célèbres). Hormis avec le jeu Enter the Matrix en 2003 car ce jeu présentait des images tournées lors de la production des films Matrix 2 et Matrix 3 avec des acteurs originaux du film, et uniquement visibles dans le jeu, afin d’approfondir l’univers.

À ma connaissance, toutes les licences célèbres de bande dessinée, manga, comics ou de jeu vidéo, déclinées sur d’autres supports que leur support d’origine, sont à considérer comme de simples produits dérivés. Des produits dérivés qui peuvent être traités avec un infini respect et des moyens importants mais qui restent des produits dérivés dans le sens où leur but premier est d’exploiter ces licences afin d’offrir une plus grande visibilité à la licence, d’amener d’autres lecteurs ou joueurs à découvrir la licence originelle, de minimiser les risques au niveau des ventes, de nourrir les fans hardcore et complétistes qui chercheront à posséder l’ensemble des créations faites autour de leur licence de prédilection.
Je considère ceci comme du produit dérivé plutôt que comme du transmédias car, à ma connaissance, ces créations n’ont pas pour but de compléter (à la manière d’un puzzle) ou de redéfinir une expérience débutée par la lecture d’une BD ou par l’expérience d’un jeu ; ceci serait perçu par les joueurs ou lecteurs comme un achat forcé.
Un joueur, qui a payé 60 à 70 euros pour jouer à un jeu, n’apprécierait pas de devoir acheter une série de BD pour connaître le destin de son personnage favori ou pour connaître la fin d’un récit. Idem pour le lecteur d’un Thorgal qui n’apprécierait pas de devoir jouer à un jeu pour connaître le fin mot de cette saga ; surtout s’il ne possède pas de console ou d’ordinateur assez puissant pour faire tourner le jeu…

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Emmanuel Nouaille, directeur artistique jeux vidéos

Pierre Pulliat : Je comprends et partage ton point de vue sur l’importance de bâtir un jeu autour d’une IP/licence pour les raisons que tu cites et je te remercie d’avoir pensé à Enter the Matrix.
Je suis d’accord, aucun utilisateur n’a envie d’avoir la fin de son histoire sous forme de livre (ou même de DLC), mais on constate quand même que tous les gros jeux à succès AAA (des prod Ubisoft à God of War, de Blood Horn à Call of Duty, sans parler des mangas avec les exemples des studios Square Enix, Nintendo et Altus ) – et même des titres indépendants – existent sous forme de BD/comics ou manga qui ne viennent pas achever l’histoire mais vont plutôt apporter un enjeu scénaristique mineur et complémentaire pour les joueurs les plus impliqués dans le Lore (souvent sous forme de préquelle ou d’épisodes Tie-in entre deux jeux comme Horizon Dawn ou Tomb Raider).

Effectivement nous ne sommes pas dans une vision où on débute un pan d’histoire sur un média pour le poursuivre littéralement sur d’autres ; cette vision a, je crois, évolué pour proposer une forme large et, c’est vrai, basée sur des prérogatives commerciales. Pour autant, les titres qui sortent en librairies sont souvent confiés à des auteurs accomplis et sont généralement de bonne qualité. C’est vrai aussi qu’on pourrait citer l’argument monétaire, le développement d’une BD est nettement moins coûteux et est bien plus simplifié qu’un jeu, du coup ça reste un produit dérivé d’appel assez évident à mettre en place.

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Pierre Pulliat, formateur/enseignant Bande dessinée à l’École de la Librairie.

Emmanuel Nouaille : Les éditeurs ou sociétés de développement de jeux, conscients de cela, sont très attentifs à la manière dont ces projets parallèles sont créés. Ces œuvres sont là pour étendre un univers, pour le faire vivre sur d’autres supports, pour travailler avec d’autres artistes (sorte de carte blanche que l’on donne à un artiste ou une équipe pour voir comment ils traitent tel personnage) mais pas dans le but de créer une expérience transmédias qui pousserait le joueur à compléter sa connaissance de l’univers par l’achat de tous ces récits sur différents supports.
De plus, on sait avec le temps que les jeunes joueurs de jeux vidéo sont de moins en moins lecteurs de BD (hormis peut-être de manga) ; sans compter l’âge de certains lecteurs, fans de séries de la première heure, totalement hermétique à l’idée de jouer à un jeu.

Le transmédias, quand il fait appel à l’achat d’un matériel spécifique (comme pour le jeu vidéo) ou à des dispositions particulières (certaines personnes sont incapables de jouer à un jeu, même si elles aimeraient le faire) se heurte à une réalité parfois indépassable.

Pierre Pulliat : Oui c’est très vrai mais le jeu vidéo devient de plus en plus accessible, en terme d’ergonomie pour les personnes en situation de handicap et, depuis l’essor de Steam et de Gog, j’ai l’impression que nous sommes beaucoup moins dans une guerre du hardware et des exclusivités (sauf chez Nintendo mais on voit que les titres Sony et Microsoft atterrissent sur PC).

À terme, on peut peut-être imaginer qu’avec l’essor de la BD numérique et du jeu vidéo, dans quelques temps, nous serions amenés à pratiquer un jeu puis une lecture ou finir sa série sur le même appareil (on a déjà ce cas sur iPhone mais pas encore dans les meilleures conditions techniques). Dans ce cas de figure le transmédias aura peut-être un développement plus concret.

Emmanuel Nouaille : Oui, les jeux deviennent plus accessibles mais de quel public parle t-on ?
Pour moi, le fait que ce divertissement demande à un public d’utiliser un pad ou un clavier pour exécuter une action sur un écran, rend ce média plus clivant, plus exigeant qu’un divertissement qui demande juste à être posé pour regarder un écran.

Forcément on progresse vers un meilleur « onboarding » des joueurs, mais jamais autant qu’un film qui s’affiche sur un écran. Et puis se pose aussi la question de la durée d’une expérience : un film peut s’interrompre à tout moment, une expérience en ligne est plus difficile à interrompre et à reprendre plus tard, surtout quand c’est une expérience multijoueur.

Pour moi, il ne faut pas confondre transmédia (tel qu’on le présente actuellement) et le fait que le jeu vidéo comme média puisse proposer en son sein des expériences variées. Ce que les éditeurs veulent c’est garder les joueurs le plus longtemps possible dans l’univers du jeu, d’où le fait que Fortnite soit utilisé par les joueurs comme une sorte de « centre commercial » moderne où l’on retrouve ses potes pour discuter, jouer, draguer, acheter, « chiller« , etc. Le fait d’inclure dans ce jeu des évènements annexes va dans le sens de ce constat. C’est une sorte de centre commercial et les joueurs y vont pour jouer au jeu de base et découvrir les nouveautés du moment.
Fortnite, sans être une marque blanche, transforme tout à sa sauce pour accueillir d’autres marques : Star Wars, Marvel, mais aussi des chanteurs, etc.

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