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Le numérique peut-il contribuer à restituer des impressions sensorielles et visuelles ?

Pieds qui marchent sur une rivière projetée au sol
Temps de lecture 15 minutes
Mis à jour le 10 octobre 2023

Cet article traite de la façon dont le numérique peut contribuer à restituer, amplifier ou recréer des impressions sensorielles et visuelles.

Découvrez la deuxième Chronique estivale Patrimoine et numérique.

Cet été, le service Numérique culturel de la Région Nouvelle-Aquitaine, en association avec {CORRESPONDANCES DIGITALES], propose un ensemble de chroniques sur les usages innovants des sites patrimoniaux néo-aquitains. Au fil de ces publications, explorez les apports et limites du numérique tant du point de vue des publics que des pratiques professionnelles : contributions du numérique dans l’accueil, l’interactivité, l’éducation, la participation des publics et ce qu’il permet en termes de reconstitution, de restitution d’impressions et de mise en récit du patrimoine.

Cette chronique traite de la façon dont le numérique peut contribuer à restituer, amplifier ou recréer des impressions sensorielles et visuelles. Souvent, le physique est opposé au numérique. Le premier, de par sa matérialité, permettrait une approche sensible, le deuxième, de par son immatérialité, empêcherait la mobilisation des sens. Face à ce constat, nombreuses sont les propositions qui mêlent pertinemment médiations matérielles et numériques. Le numérique peut ainsi favoriser une approche enrichie de la matérialité des objets patrimoniaux pour :

  • valoriser les savoir-faire qui sont liés à la création d’objets de collections mais aussi à leur restauration, conservation ou documentation. C’est ce que propose certains dispositifs en salle mis à la disposition des visiteurs à la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson ;
  • proposer des expériences sensorielles décuplées. C’est le cas des activités proposées dans le cadre du parcours de visite de la Cité du Vin à Bordeaux ;
  • restituer à l’identique l’atmosphère, l’ambiance ou l’ « aura » d’un objet, d’un lieu en danger ou ayant disparu. L’occasion de revenir sur la création du Centre International de l’Art Pariétal – Lascaux IV et sur ses récentes prolongations.
    Au fil de la chronique, découvrez également l’Entretien avec Dominique Sallanon, responsable des expositions à la Cité internationale de la tapisserie, et le J’ai testé pour vous.
Valoriser les savoir-faire d’un territoire par une approche sensorielle et impliquante

Valoriser les savoir-faire d’un territoire par une approche sensorielle et impliquante : la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

Dans cet ouvrage précieux qu’est La Muséologie – Histoire, développements, enjeux actuels, André Gob et Noémie Drouguet révèle que, si 50 à 60% des objets sont regardés dans un musée, moins de 40% des textes sont lus. Une approche muséographique par le texte, très (trop) intellectuelle, est, en conséquence, particulièrement insuffisante et nécessite de s’enrichir d’un ensemble d’autres supports qui favorisent une approche plus matérialisée et sensible. C’est le cas de dispositifs visuels, olfactifs ou tactiles tels que les tissuthèques par exemple, c’est aussi celui de certains dispositifs numériques tels que ceux proposés à la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson.

Extérieur Cité internationale de la tapisserie d'Aubusson : Maxfoucault57, Wikimedia commons
Extérieur Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

C’est suite à l’inscription des savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO (2009) que la Cité internationale a ouvert ses portes en 2016. Différentes tapisseries y sont exposées dans des décors en trompe-l’œil inspirés du théâtre, ainsi contextualisées dans leurs époques d’origine. À ces « period rooms » propices à une véritable immersion dans l’univers d’Aubusson, le parcours proposé aux visiteurs est ponctué d’espaces dont la médiation est enrichie par des approches plus interactives, ludiques et sensorielles. Deux espaces sont particulièrement emblématiques de ces enrichissements : Les Mains d’Aubusson et La nef des tentures.

C’est dans cet esprit que deux dispositifs numériques ont été positionnés dans l’espace Les Mains d’Aubusson, dédié aux savoir-faire de la tapisserie. Le premier, constitué de trois écrans positionnés autour de l’œuvre la Fée des Bois, suggère aux visiteurs une immersion dans l’envers et l’endroit de cette tapisserie grâce à des images en très haute définition.
Le deuxième, plus ludique et participatif, invite le visiteur à « tisser » numériquement sa propre tapisserie sur table tactile. Sur un modèle prédéfini élaboré par les équipes de la Cité, le visiteur fait différents choix de rendus et une tapisserie virtuelle se tisse automatiquement. Il peut ensuite envoyer sa réalisation par mail ou la partager sur Facebook.

Jeu métier à tisser de la Cité ©Cadmos
Jeu métier à tisser de la Cité

Par ailleurs, dans la Nef des tentures, espace phare du parcours d’exposition où cinq siècles et demi de production en tapisserie d’Aubusson sont présentées, 6 tablettes multimédia, en complément d’un guide de visite distribué à l’entrée du musée, sont à disposition des visiteurs. Elles leur permettent de plonger dans les détails des œuvres et zoomer sur la composition de différentes tapisseries pour mieux appréhender le rendu, les savoir-faire et les techniques de tissages pluriséculaires de la tapisserie d’Aubusson : taille du point, dégradés de couleurs, laine… Sans action du visiteur, les tablettes remplissent le rôle d’un cartel conventionnel affichant ainsi un lent panoramique de la tapisserie, de son titre et de son auteur.

Dans les différentes phases de ce parcours, la technologie est ainsi utilisée pour développer le regard du visiteur au-delà de ses capacités naturelles. Bien que dénaturant visuellement l’objet de collection par cet « effet de zoom », l’appréhension de ses couleurs et de ses tessitures est décuplée à l’aide de cette approche par le détail. Elle révèle ainsi les coulisses de la création d’une œuvre, les gestes des tisserands, mais aussi, les actions de préservation, les fragilités, les reprises et restaurations réalisées dont elle a été l’objet. Pour enrichir ce niveau de lecture sensible, d’autres contenus multimédias, plus didactiques (photos, vidéos, audio), peuvent aussi être mobilisés. Les dispositifs de La Nef des tentures proposent aussi ce type de contenus.

Pour mettre en œuvre de telles expériences, il semble donc indispensable de :

  • Sélectionner les solutions les plus adéquates au regard des enjeux muséographiques d’un parcours. Dans le cadre du projet de parcours de la Cité, différentes options ont été émises (schémas, échantillons …) pour s’assurer que la solution technologique était nécessaire compte tenu des enjeux et contraintes liés aux espaces d’exposition, à la préservation et à la conservation des œuvres ainsi que des ambitions scientifiques et culturelles de la Cité vis-à-vis de ses publics.
  • Avoir recours à une numérisation d’excellente qualité. Une campagne de numérisation ambitieuse a été menée par la Cité pour permettre des vues en très haute définition de plusieurs pièces de collections.
  • Développer un projet de médiation à la croisée des expertises scientifiques d’un lieu patrimonial : documentation, conservation et restauration. Pour définir le discours de telles expériences, tous les savoirs des équipes d’un lieu culturel peuvent être mobilisés. En retour, les images numérisées peuvent aussi servir la documentation, l’étude et la conservation des collections (en évitant un ensemble de manipulations des œuvres potentiellement traumatiques).
  • Articuler le développement de tels dispositifs en lien étroit avec les autres dispositifs matériels et les pratiques de médiation des équipes. La logique de parcours développée au sein de la Cité a anticipé ces différentes articulations. Différentes évaluations pourraient aussi être menées, a posteriori, pour voir dans quelles mesures les équipes du lieu et ses publics s’emparent de ces différents dispositifs et développent éventuellement des contournements d’usages (parfois sources d’innovation).

 

À l’instar de la Cité internationale de la tapisserie, le parcours de la Cité du vin exploite une pluralité de ressorts technologiques pour matérialiser une diversité de savoir-faire liés à la culture vinicole. Néanmoins, à la différence de l’approche très visuelle d’Aubusson, l’équipement culturel bordelais a souhaité proposer une muséographie faisant appel à l’ensemble des sens de ses visiteurs, au-delà de la vue.


En savoir plus sur la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson
L’entretien
Dominique Sallanon
L’Entretien avec Dominique Sallanon

En quelques mots, pouvez-vous vous présenter ? Quel fut votre rôle dans la définition du parcours de visite de la Cité internationale de la tapisserie ?

« Je travaille sur des créations / restructurations de musées et à la conception d’expositions temporaires. Mes domaines de formations sont l’art, l’ethnologie et la muséographie.
Je me situe à l’interface entre scénographe et conservateur, j’interviens en émulsion avec les deux disciplines et dans les deux champs. Dès l’origine, en collaboration avec le Conservateur Bruno Ythier nous avons défini le parcours et les informations à communiquer. Nous avons aussi mené un ensemble de réflexions sur leur nature et sur leur mode de médiation (en concordance parfaite avec les muséographes). »

Quels sont les enjeux muséographiques et les choix que vous avez opérés sur le volet numérique de ce parcours muséographique ?

« Notre choix s’est porté sur certains dispositifs numériques pour différentes raisons. Tout d’abord, nous souhaitions favoriser une transmission ludique des techniques et du savoir-faire de la Tapisserie d’Aubusson. Proposer un simulateur de tissage sur une table tactile à nos visiteurs, nous a semblé donc un dispositif adéquat par rapport à d’autres propositions.
Par ailleurs, l’usage du numérique peut faciliter le regroupement d’objets de façon thématique, en leur associant un panel conséquent de documents (cartels numériques avec textes, images, vidéos). Au regard des contraintes spatiales du parcours de visite de la Cité, il nous a donc semblé pertinent de favoriser, de nouveau, une médiation numérique.
Enfin, dans le cadre du parcours chronologique proposé dans la Nef des tentures, nous souhaitions communiquer des informations visuelles sur des œuvres. L’usage de scans haute définition et la mise à disposition de tablettes le long de ce parcours permettent au visiteur de savoir quoi regarder et comment. »

Comment les équipes de la Cité, en articulation avec vos prestataires, se sont organisées pour concevoir ces dispositifs numériques ?

« À ce stade de conception, l’équipe de la Cité était réduite à moi-même. J’ai donc œuvré à la définition des contenus. Nous avons partagé avec les muséographes la rédaction des cahiers des charges.
Concernant les numérisations inférieures à un format A3, elles ont été réalisées par mes soins. Par ailleurs, si les montages vidéos des écrans non tactiles ont été confiés aux muséographes, j’ai effectué les montages pour les tablettes. Les numérisations haute définition (Alta Definizione, puis Gilles Alonso), le graphisme et les développements techniques (prestataires via nos muséographes) ont été, quant à eux, externalisés. »

Comment ces dispositifs numériques s’intègrent aux autres supports et pratiques de médiation que vous mettez à la disposition de vos visiteurs ?

« L’intégration des dispositifs numériques s’est faite en association avec les autres supports (notamment, les livrets papier distribués aux visiteurs), non en doublon. »

Quels sont les retours des publics vis-à-vis de ces dispositifs numériques ?

« Les retours des publics ont été particulièrement positifs et unanimes pour la table de tissage numérique (gros succès d’usages). L’usage des tablettes semble plus partagé. Globalement, peu de retours nous sont faits sur celles-ci. Elles peuvent être souvent ignorées, notamment, par les gens âgés. »

Proposer des expériences sensorielles enrichies

Proposer des expériences sensorielles enrichies : la Cité du vin à Bordeaux

Généralement, c’est par la vue que le visiteur prend connaissance des objets ou des textes d’un lieu d’exposition. Or, depuis le début du XXIe siècle, les lieux patrimoniaux doivent s’adapter à un corpus de normes liées à l’accessibilité des publics. Cette nécessité a ainsi contribué à l’émergence en muséographie de la notion de Conception Universelle pour que les équipements et services mis à disposition des publics puissent « être utilisés par tous, dans toute la mesure possible, sans nécessité ni adaptation ni conception spéciale » (convention de l’ONU). Dans le respect de cette notion, les parcours de visite doivent, par conséquent, favoriser une multiplicité de lectures et une approche multisensorielle adaptée à tous, publics en situation de handicap ou non. Le parcours de la Cité du vin a été développé dans cette logique, d’autant plus que l’évocation de la culture liée à cette boisson est éminemment sociale et sensorielle.

Extérieur Cité du Vin : Oli Lynch, Flickr
Extérieur Cité du Vin

Ouverte en 2016 à Bordeaux, la Cité du vin, structure culturelle privée gérée par la Fondation pour la culture et les civilisations du vin, propose à ses visiteurs d’éveiller toutes leurs perceptions sensorielles. Pour favoriser cette logique synesthésique et/ou polysensorielle, la technologie doit s’effacer au profit de l’expérience vivante et authentique. Or, aucun objet authentique n’est conservé en ce lieu et le numérique y est présent tout au long du parcours : images 3D, vues de drones, décors virtuels mais aussi diffusions d’odeurs et dispositifs tactiles.

Véritable parcours initiatique proposé aux visiteurs, différentes ambiances se succèdent pour favoriser une découverte sensible des vignobles, du vin ou du rapport au terroir. Muni d’un compagnon de voyage dont les contenus s’adaptent en fonction de l’avancée de leurs visites, les publics accèdent ainsi à des témoignages, à des expériences visuelles (survol de vignobles), participent à des jeux de rôle (« mettez-vous à la place des vignerons »), se détendent (« allongez-vous dans le sofa pour contempler »), découvrent des anecdotes ou des faits historiques avant de mettre l’ensemble de leurs sens à contribution (« peintures, textes et musiques s’entremêlent », « Éveillez-vos sens à la dégustation »…).

Découvrez La Cité du Vin

L’attention du visiteur est ainsi sollicitée de façon permanente pour « naviguer d’un support à l’autre, d’un contenu à l’autre ». Pour rentrer plus avant dans ce parcours, une très belle analyse de l’expérience de visite proposée par la Cité a été réalisée par Jessica de Bideran. Elle évoque ainsi le sentiment de « désorientation » que peut ressentir un visiteur en déambulation libre entre des contenus audios déclenchés automatiquement selon son parcours et une déferlante d’images et d’esthétiques qui captent son attention. « Articulé selon un agencement plus spatial que narratif, le parcours permanent de la Cité du vin fait inévitablement passer le discours d’exposition du texte à l’hypertexte ». Une analyse qui démontre ainsi la profonde innovation dont a fait preuve la Cité dans l’agencement de son parcours où chacun, comme sur le Web, peut découvrir au fur et à mesure de ses pérégrinations une somme d’informations, hors d’un discours muséographique linéaire (avec ce que cela peut induire en termes de logique de « papillonage » et de « zapping »).

Un tel parcours muséographique est donc passionnant à analyser pour évaluer l’équilibre à atteindre entre discours scientifique et expérience de visite proposée. Cet équilibre, en perpétuelle renégociation, implique de :

  • Sélectionner et adapter profondément une diversité de fonds documentaires pour reconstruire une expérience polysensorielle cohérente. C’est dans cette logique que la Cité du vin met en avant une pluralité de sources documentaires (textes, audio, vidéos, reconstitutions, odeurs…) retravaillées profondément pour favoriser une cohérence de visite.
  • Concevoir des dispositifs interactifs, immersifs et participatifs au service des visiteurs. Cette volonté d’interactions peut mobiliser des dispositifs technologiques spécifiques tels que des détecteurs de mouvements (la technologie RFID mobilisée pour le compagnon de visite de la Cité en est un bon exemple). Ces dispositifs nécessitent donc d’anticiper d’autant plus la place des gestes et du corps des visiteurs que par rapport à un parcours scénographique classique. Une approche expérimentale physique est donc essentielle pour favoriser une expérience globale claire.
  • Privilégier une approche muséographique basée sur l’expérience et moins sur une approche discursive linéaire. C’est l’approche mise en œuvre à la Cité qui favorise une déambulation libre sous forme d’îlots plutôt qu’un parcours signalé physiquement.

 

L’approche numérique adoptée par la Cité du vin, en absence d’objets réels exposées, se distingue donc particulièrement d’un lieu tel Lascaux où un patrimoine extraordinaire est reproduit à l’aide de la technologie pour favoriser la protection d’un tel site.


En savoir plus sur la Cité du vin à Bordeaux
Visite interactive et numérique

Visite interactive et numérique du Centre international de l’art pariétal – Lascaux IV

Découverte en 1940, ouverte au public en 1948, puis, fermée en 1963 sur décision d’André Malraux, la grotte originale de Lascaux fait l’objet d’un premier fac-similé (Lascaux II), restituant partiellement la grotte. Après une première tentative avortée en 1978, le département de la Dordogne ouvre ce premier ensemble aux publics en 1983. Site le plus visité de la Dordogne en 2011 avec 250 000 visiteurs, il est aujourd’hui visité de façon plus intimiste.
En 2010, grâce à la notoriété des grottes de Lascaux II, le Conseil général de la Dordogne décide de concevoir une exposition itinérante présentant les fac-similés de Lascaux : Lascaux III. Cette exposition, réalisée par l’atelier des fac-similés du Périgord (AFSP), poursuit son itinérance à travers le monde.

Peinture murale Lascaux IV © Dan Courtice, Lascaux IV
Peinture murale Lascaux IV

Ce fac-similé est complété par des espaces d’interprétations proposant des ressources numériques et interactives dédiées aux peintures de la grotte avec des panneaux reproduits à l’échelle 1 : l’Atelier. Des interfaces naturelles permettent de prolonger la visite par des explorations sensorielles telles que la réalisation virtuelle de peinture préhistorique, des jeux de lumières et de sons, des parcours scénarisés en réalité augmentée immersive via la mise à disposition de casques de réalité virtuelle.
Enfin, un film en 3D réalisé à partir des relevés numériques effectués dans la grotte est proposé aux visiteurs pour découvrir au plus près les œuvres pariétales de Lascaux (notamment, celles les plus inaccessibles) ainsi que celles d’autres grottes ornées.

Malgré cette richesse de ressources proposées par le Centre international d’art pariétal, un tournant est pris depuis 2 ans. En 2018, André Barbé, directeur général de la Semitour, société d’économie mixte exploitant le site, confiait à La Tribune de Bordeaux qu’il était « déçu par la promesse du numérique […] qui n’est pas assez intuitive et ne fonctionne pas avec tout le monde […]. Lascaux est un site qui invite à la contemplation et ce n’est pas toujours compatible avec une tablette numérique ».
Depuis 2019, des visites plus libres sont, par conséquent, expérimentées pour améliorer une approche plus intimiste de la grotte, sans compagnon de visite, sans visite guidées mais avec des médiateurs postés. En effet, Lascaux II toujours ouverte au public connaissait un regain de fréquentation (environ 70 000 visiteurs/an) compte tenu de la fréquentation particulièrement peu propice à l’immersion de Lascaux IV en juillet/août (environ 4 000 visiteurs/jour). Selon Laurent Corbel, directeur adjoint de la Semitour, cela « nous oblige à questionner sur le type de visite qu’apprécie la clientèle… ».

Ce retour d’expérience est particulièrement intéressant et démontre dans quelle mesure le numérique peut :

  • Parasiter (parfois) une expérience de découverte sensible de façon inadaptée. Le compagnon de visite, inactif durant l’exploration de la grotte, peut sembler encombrant par les visiteurs. À la sortie de la grotte, il peut être jugé inutile au regard de la diversité des dispositifs numériques proposés par ailleurs.
  • Générer des fractures d’accès en fonction de la maturité numérique des visiteurs. C’est ce que semble particulièrement relever le directeur général de la Semitour.
  • Nuire au confort de de visite, notamment, dans le cas d’un site fortement fréquenté en pic de saisonnalité. L’objectif initial de Lascaux IV était d’offrir une visite sur une durée de 2h30, or, il s’avère que 40 minutes sont consacrées en visite de groupe à la visite du fac-similé, expérience majeure du site, contre 1h en moyenne dans le fac-similé partiel de Lascaux II. Quant aux très riches ressources proposées dans les espaces d’interprétation, elles ralentissent le flux de visite dégradant ainsi leur confort de consultation et provoquant plus d’attente en cas de forte fréquentation.
  • Aussi (et c’est à souligner) permettre des prouesses pour reproduire un lieu authentique dans des conditions proches du réel. Le fac-similé ainsi proposé dans Lascaux IV, particulièrement fidèle à la grotte originale, contribue à sa préservation et facilite son accès au plus grand nombre.
J’ai testé pour vous
J’ai testé pour vous… Lascaux IV

 

À l’entrée nous sommes équipés de compagnons de visite (tablettes tactiles) en fonction des âges de chacun. Après une explication sur l’utilisation des tablettes, la visite débute avec la reproduction de la grotte accompagnée d’un guide, particulièrement fin dans ses explications et la gestion du groupe.
Le fac-similé réalisé avec des techniques numériques est époustouflant de précision. On a l’impression d’être dans la grotte.

À la sortie de ce premier espace de visite, le mur immersif représentant le paysage actuel et le paysage de toundra des contemporains de la grotte est très impressionnant. Une description orale d’un guide n’aurait pas suffi à transformer la réalité du paysage du Périgord Noir actuel. Ce moment immersif est encore présent des mois après la visite de la grotte plus que n’importe quel autre lieu.

Ensuite, dans la salle de l’Atelier, réunissant 8 panneaux 3D, commence la visite libre qui nécessite l’utilisation des compagnons de visite. Les tablettes tactiles pour les enfants sont très ludiques, ce qui a eu l’effet de les passionner. Le compagnon de visite pour adulte reste quelque peu frustrant ; les explications sont très succinctes et on ne peut pas se connecter à la visite des enfants pour pouvoir échanger avec eux sur les jeux qui leur sont proposés.
La multitude d’installations interactives, couplée à une forte densité de publics, entraine paradoxalement une certaine déconnexion avec l’univers de Lascaux. Il est également difficile de comprendre la complémentarité entre les différents dispositifs interactifs et le compagnon de visite pour adultes.

Une fois la visite de l’Atelier terminée, on peut se diriger vers le théâtre, le cinéma 3D ou la Galerie de l’imaginaire. La Galerie de l’imaginaire permet de construire sa propre exposition en choisissant parmi une collection d’œuvres proposées mêlant art pariétal et création contemporaine. Une fois la sélection faite, elle est diffusée sur les écrans couvrant les murs et le plafond de la salle.

ON A AIMÉ
Visite adaptée à un public familial
Qualité de la médiation
Aspect immersif de la visite
Qualité des techniques numériques
Passerelle entre art pariétal et art contemporain

ON A MOINS AIMÉ
Non complémentarité entre le compagnon de visite adulte et celui enfant
Difficulté à percevoir la complémentarité entre le compagnon de visite adulte et les autres dispositifs numériques
Pas suffisamment de contenus scientifiques lors de la visite libre
Densité du public

NOTRE COUP DE CŒUR
le fac-similé de la grotte et le mur immersif sur le paysage


En savoir plus sur Lascaux IV : visite interactive et numérique du Centre International de l’Art Pariétal

Les liens entre matérialité, sensibilité et numérique sont donc particulièrement subtiles. Ils peuvent favoriser des approches « augmentées ». La volonté de restituer « l’authentique » d’une expérience sensible achoppe parfois sur la nécessité de fournir des contenus ludiques, didactiques et interprétatifs. Ces contenus peuvent aussi, à leur tour, contribuer à mieux prendre conscience du caractère exceptionnel de sites ou d’objets et décupler ainsi une approche sensorielle.

Antoine ROLAND

Crédits

Rédaction de l’article et L’entretien : Antoine Roland, {CORRESPONDANCES DIGITALES]
J’ai testé pour vous : service Numérique culturel de la Région Nouvelle-Aquitaine

Photos et illustrations :

  • Photo de Une : ©Région Nouvelle-Aquitaine
  • Extérieur Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson : Maxfoucault57, Wikimedia commons
  • Photos Nef, tablette, jeu métier à tisser de la Cité : © Cadmos
  • Extérieur Cité du Vin : Oli Lynch, Flickr
  • Vidéo Cité du Vin : ©Cité du Vin, Youtube
  • Cité du vin, le buffet des 5 sens : ©Studio MB / Cité du Vin / Casson Mann
  • Cité du Vin, tout un art de vivre : ©Anaka / Cité du Vin / Casson Mann
  • Cité du Vin, Bordeaux une ville un vignoble 2 : ©Mamie Boude / Cité du Vin / Casson Mann
  • Photos Lascaux IV: ©Dan Courtice, Lascaux IV
  • Vidéo Lascaux IV : ©Lascaux Officiel, Youtube
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