Le numérique favorise-t-il le jeu et l’interaction ?
Cette chronique propose d’évoquer la façon dont les lieux patrimoniaux se sont emparés du numérique pour proposer des expériences plus ludiques et interactives à leurs publics.
Découvrez la cinquième Chronique estivale Patrimoine et numérique.
Cet été, le service Numérique culturel de la Région Nouvelle-Aquitaine, en association avec {CORRESPONDANCES DIGITALES], propose un ensemble de chroniques sur les usages innovants des sites patrimoniaux néo-aquitains. Au fil de ces publications, explorez les apports et limites du numérique tant du point de vue des publics que des pratiques professionnelles : contributions du numérique dans l’accueil, l’interactivité, l’éducation, la participation des publics et ce qu’il permet en termes de reconstitution, de restitution d’impressions et de mise en récit du patrimoine.
Cette chronique propose d’évoquer la façon dont les lieux patrimoniaux se sont emparés du numérique pour proposer des expériences plus ludiques et interactives à leurs publics. Ces expériences, variées dans leurs expressions, peuvent favoriser une lecture inédite d’un lieu et de ses collections mais aussi inciter les publics à une posture active. Ils peuvent s’envisager :
- en fin de parcours, pour encourager une meilleure appropriation des acquis de la visite par les publics. C’est le cas de l’escape game virtuel qui sera proposé à la rentrée par le Centre François Mauriac à Malagar ;
- tout au long du parcours, dans une logique de renouvellement événementiel de l’expérience de visite. C’est ce qu’a développé le musée Sainte-Croix de Poitiers avec l’application mobile Monster Party.
- en amont, dans le prolongement et lors d’une visite in situ, dans une approche transmédiatique. C’est par exemple, ce que le Centre des monuments nationaux a mis en œuvre avec la Fabrique à histoires.
Au fil de la chronique, découvrez également l’Entretien avec Frédéric Saint-Pol, directeur adjoint de l’Abbaye aux dames de Saintes, et le J’ai testé pour vous.
Proposer un jeu d’évasion pour clôturer un parcours de visite : l’escape game virtuel proposé à Malagar
Située en Gironde, la Maison de l’écrivain François Mauriac, Malagar, est fermée au public depuis décembre 2019 pour 2 ans de restauration. Pour se substituer aux espaces de visites fermés, avec le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine, le Centre François Mauriac a aménagé l’Étable et le Chai du Rouge du domaine. Un ensemble de ressources et de dispositifs numériques y seront consultables d’ici à la rentrée pour permettre aux publics du lieu de le visiter dans les meilleures conditions. À la fin des travaux, ces dispositifs seront pérennisés et contribueront ainsi à moderniser le parcours de visite qui leur est proposé.
Dans le Chai du Rouge, 5 écrans tactiles (dont un destiné au PMR) ont été installés pour consulter des documents en lien avec la vie, l’œuvre, l’époque de François Mauriac ainsi que l’histoire du Domaine de Malagar.
Dans l’Étable, une visite virtuelle grandeur nature (cf. Chronique #3) est en place depuis la fin juillet pour restituer les cinq pièces principales de la maison de l’écrivain par des vues panoramiques haute définition à 360°. À l’instar du dispositif de reconstitution 3D de la maison de Pierre Loti proposée à l’Hôtel d’Hèbre (cf. Chronique #1), les guides de Malagar utiliseront cette visite virtuelle pour faire découvrir le lieu aux visiteurs (visite limitée à 15 personnes), voire, « exporter » cette visite dans les établissements scolaires de la Région Nouvelle-Aquitaine.
Enfin, un « escape game » proposera, en fin de parcours, un troisième niveau de lecture de l’œuvre de Mauriac plus interactif et ludique. Inspiré par Le Cahier noir, ouvrage de résistance écrit sous pseudonyme en 1941 et publié clandestinement en 1943 pour fustiger l’attitude du Maréchal Pétain et des français collaborationnistes, cet escape game propose aux visiteurs de se plonger dans l’ambiance du Malagar de la Seconde Guerre mondiale.
Dans l’atmosphère inquiétante d’une demeure occupée par les forces allemandes, les visiteurs seront conviés à participer à cette expérience en binôme. Ils devront, dans un temps contraint (20 minutes), retrouver le manuscrit du Cahier noir. L’un sera équipé d’un casque et d’une manette afin de déambuler virtuellement dans le bureau de François Mauriac et d’en fouiller chaque recoin. L’autre devra scruter l’écran géant à la recherche d’indices pour guider son partenaire. Le jeu sera ainsi prétexte à faire appel à la logique, à la rapidité et à l’observation des visiteurs pour renouveler leur regard sur le lieu, l’écrivain et son histoire.
Quelques éléments d’analyse peuvent être évoqués à partir de cet exemple :
- Tel qu’envisagé, l’escape game de Malagar s’imbrique et se superpose aux autres supports de médiation numérique. Il enrichit, par l’expérience et le jeu, la visite des espaces reconstitués de la maison de l’écrivain. La consultation des documents proposés sur les écrans interactifs dans le Chai du Rouge favorise la mise en contexte du joueur. Ces différents niveaux de lecture peuvent ainsi se compléter et s’interpénétrer pour proposer aux publics une multiplicité d’informations variées dans leurs modalités de transmission : médiation humaine d’un côté, consultation libre de l’autre, posture active et interactive grâce au jeu pour finir.
- À rebours des escape games « grandeur nature » accueillis et matérialisés dans les espaces physiques d’autres lieux culturels, l’expérience est ici virtuelle sans être excluante. L’immersion dans les espaces reconstitués virtuellement de Malagar contribue à renforcer l’ambiance oppressante du jeu. Pour autant, à l’instar de nombreux escape games, la participation collective favorise l’interaction et l’émulation au sein des binômes de joueurs.
- La dénomination d’escape game, un label pour les jeunes publics ? Apparus dans les années 1970 et 1980, aux États-Unis et au Royaume-Uni, la dénomination d’escape game est apposé à un ensemble d’activités patrimoniales et touristiques depuis 2018 pour attirer de nouveaux publics. Dans cette logique, le musée de Flandre a, par exemple, attiré plus de 55 % de primo-visiteurs et 48 % de visiteurs de moins de vingt-cinq ans avec le lancement d’un escape game en novembre 2018. Le Centre François Mauriac s’inscrit dans cette dynamique. En proposant une telle expérience ludique, les visiteurs les plus jeunes (3 000 publics scolaires accueillis l’année dernière à Malagar) pourront mieux appréhender et s’approprier l’œuvre de Mauriac. L’initiative pourra aussi contribuer à enrichir la programmation culturelle du lieu : valorisation du jeu dans le cadre du festival Des livres&moi, mise en avant auprès de l’École nationale du Jeu et des médias intéractifs numériques, création d’événements de promotion de l’escape game…
- Vers de nouveaux partenariats ? L’escape game de Malagar a été créé par AXYZ, studio déjà fortement implanté dans le secteur culturel avec la réalisation de prestations pour le musée d’histoire de Marseille, Cap Sciences, le musée d’Aquitaine, le Centre international d’art pariétal de Lascaux… Or, les nombreux escape games qui ont émergé ces dernières années ont été l’œuvre d’une diversité de sociétés peu spécialisées dans le secteur culturel. Celles-ci pouvaient ainsi être spécialisées dans les jeux d’évasion en salle (telles que Team Break pour l’Opéra de Paris), venir de la production événementielle auprès des particuliers ou entreprises (telles que 5e Acte par exemple), de la réalité augmentée ou virtuelle, des jeux vidéo (comme Ubisoft avec l’expérience Assassin’s Creed aux Invalides) ou du monde des séries (telle que Netflix avec un jeu autour de la série de la Casa de papel à la Monnaie de Paris). La place du lieu culturel dans ce type d’expériences est donc particulièrement variée : il peut être lieu d’accueil, coproducteur d’événement ou donneur d’ordre dans l’élaboration d’une expérience de médiation. C’est, a priori, la troisième posture qu’a choisie Malagar.
Le jeu d’évasion de Malagar, envisagé comme un véritable outil de médiation, a pour optique d’être pérennisé dans le futur parcours du lieu qui sera proposé dans deux ans par le Centre François Mauriac. À l’inverse d’autres dispositifs numériques peuvent être envisagés de façon plus expérimentale et événementielle, c’est le cas de Monster Party proposé au Musée Sainte-Croix de Poitiers (en cours de finalisation).
Favoriser le jeu dans un parcours de visite : l’exemple de Monster Party au Musée Sainte-Croix de Poitiers
Créé en 1974, à la place d’une ancienne abbaye, le musée Sainte-Croix est le plus grand établissement patrimonial de la ville de Poitiers. Ses collections sont présentées sur la base d’un parcours chronologique de la préhistoire, en passant par l’archéologie antique et médiévale et par les beaux-arts (du XIVe au XXe siècle).
Pour découvrir ces collections, une application intitulée Poitiers Visite Musée est proposée aux visiteurs de Sainte-Croix depuis 2017. Développée par des étudiants-chercheurs de l’Université de La Rochelle en marketing et informatique, Alienor.org – Conseils des Musées (avec le soutien de la DRAC, de la ville de Poitiers et du Grand Poitiers), elle en est désormais à sa troisième version. Elle permet d’accéder aux actualités du musée, de consulter des œuvres de façon ludique et interactive, de créer ou d’effectuer des parcours thématiques sur site (l’un destiné aux enfants, l’autre aux adultes). Un jeu, « Les mystères de Sainte-Croix », illustré par Laurent Audouin, y est proposé pour reconstituer l’animal mystérieux de Poitiers.
Par ailleurs, en parallèle de l’application mobile tous publics du musée, un jeu est en cours de finalisation : Monster Party. Mêlant jeu de piste et réalité augmentée, cette chasse aux monstres, à la manière de Pokemon Go, est un moyen pour attirer les adolescents (8-15 ans) dans les salles du musée à la découverte de ses collections de façon ludique et inédite.
Disponible gratuitement sur les tablettes du musée, Monster Party consiste à rechercher des indices, seuls ou en groupe (3 maximum), pour résoudre un ensemble d’énigmes dans les collections archéologiques du musée. Le jeu dure environ 30 à 40 minutes.
Dans ces ressorts ludiques et interactifs, Monster Party permet de revenir sur les composantes primordiales d’un jeu telles que :
- L’importance du récit pour structurer une expérience ludique. À l’instar de nombreux jeux, Monster Party illustre bien les différents leviers ludiques et narratifs qu’avaient, notamment, théorisés Algirdas Julien Greimas en 1966. Tout « héros », à la demande d’un destinateur (« émetteur »), répond à un « objectif » en direction d’un « destinataire » lors sa « quête ». Dans cette recherche, il reçoit de l’aide (« adjuvant ») ou se confronte à des contraintes (« opposant »). Dans Monster Party, la « quête » des joueurs doit mener à la résolution d’une énigme finale (« objectif »). Pour cela, ils doivent parcourir un ensemble d’épreuves (« opposant ») et identifier différents indices (« adjuvant »). L’expérience ludique d’une telle enquête s’inscrit donc dans cette logique.
- La superposition d’un univers fictionnel au service des collections du musée. À l’aide de la réalité augmentée, le jeu se superpose aux collections avec la volonté de ne pas s’y substituer pour favoriser une découverte des objets. Comme évoqué dans une précédente chronique, une étude menée au Palais des Beaux-arts de Lille revient sur les impacts émotionnels et le rapport aux œuvres qu’implique une visite à l’aide d’une tablette. Grâce à différentes mesures émotionnelles (bracelet épidermique) et d’attention (mesures oculométriques), cette étude démontre que l’usage d’une tablette auprès des jeunes publics, peut contribuer à allonger leurs temps de visites et leur capacité d’appropriation des œuvres. Un tel constat semble aussi avoir été relevé par le musée Sainte-Croix.
- Quelle place donner à l’interaction et au jeu ? Une posture active peut favoriser l’apprentissage et la capacité de mémorisation. C’est ce que rappelle une étude menée par la psychologue Yvette Hatwell qui démontre que la perception des informations se fait à 1% par le goût, 1.5% par le toucher, 3.5% par l’odorat, 11% par l’ouïe et 83% par la vue. L’étude indique également que nous retenons environ 10% de ce que nous lisons, 20% de ce que nous entendons, 30% de ce que nous voyons, 50% de ce que nous voyons et entendons, 70% de ce que nous disons et 90% de ce que nous disons en faisant. Être dans une position de jeu de rôle contribue donc à renforcer l’attention et à mieux mémoriser. C’est aussi l’occasion pour ces jeunes publics de vivre une expérience plaisante dans un lieu à l’heure même où la récente publication d’une étude menée par le Ministère de la culture sur 50 ans de pratiques culturelles en France rappelle que la fracture entre pratique muséale et jeunes publics s’accentue.
Proposer une expérience inédite et ludique in situ peut, par conséquent, œuvrer au développement d’interaction des jeunes publics avec les collections ; une logique transmédiatique telles que celle envisagée avec la Fabrique à histoires peut, quant à elle, élargir l’expérience interactive au-delà de la visite physique.
Développer une logique de jeu transmédiatique : l’exemple de la Fabrique à histoires
En octobre 2016, le Centre des monuments nationaux (CMN) lance un dispositif de médiation à destination des jeunes publics (8-12 ans) et des familles : la Fabrique à histoires. Ce dispositif a pour ambition de faire découvrir aux familles, à travers des parcours scénarisés d’environ 1 heure chacun, trois monuments du CMN en région bordelaise : le château de Cadillac, l’abbaye de La Sauve-Majeure et la tour Pey-Berland.
À l’aide d’une application accessible sur mobile ou sur tablette, d’un site internet dédié et la proposition d’ateliers « Do it yourself » in situ, les familles sont invitées à découvrir, de manière ludique, l’histoire de chaque lieu à travers un récit inédit et original. Ce récit évoque ainsi que, dans les temps anciens, une machine tissait les contes et légendes de notre histoire. Cette « Fabrique à histoires », au fil des siècles, s’est mise à dysfonctionner et les histoires se mélangent depuis au risque de transformer notre histoire.
Le contenu propre à chaque média (atelier, application ou site web) peut être exploré à la fois indépendamment et en résonance avec celui des autres.
Le site internet fait le lien entre les applications et les lieux en ouvrant sur d’autres contenus en préparation ou en prolongation à une visite physique. L’application, quant à elle, propose un parcours ponctué d’une dizaine de points d’intérêts sur chaque site avec une mécanique de jeux simples et des indices à découvrir. La résolution de chaque jeu débloque un élément de l’histoire scénarisée qui se recompose et permet de reconstituer l’histoire en fin de parcours. Enfin, les ateliers « Do it yourself » sont proposés aux enfants pour créer des calligraphies, produire des mini-vidéos, fabriquer leur propre machine à histoires composée d’éléments en cartons et électroniques (littleBits) pour animer la machine.
Lauréat de l’appel à projet Cultures connectées porté alors par la Région Aquitaine et avec l’appui du département de Gironde grâce à l’appel à initiatives culturelles innovantes Sapiens, la Fabrique à histoires a été développée par l’agence de design d’expériences Urban Expé et l’association D’Asques et d’Ailleurs.
La Fabrique à histoires est donc un jeu dont les spécificités sont nombreuses et inspirantes :
- Le jeu est organisé dans une logique de parcours inter-sites. Pour valoriser les 3 monuments présents dans la région bordelaise, le CMN a envisagé un dispositif favorisant la découverte croisée de ces lieux grâce à un fil narratif, une méta-histoire commune aux différents monuments. Au-delà d’une offre commune, une logique promotionnelle a aussi été développée grâce à la mise en place de supports de communication communs et de billet jumelé inter-sites.
- Le jeu est organisé dans une logique transmédiatique. Comme nous le verrons avec le projet Les Voies d’Aliénor dans la dernière chronique, le projet de la Fabrique à histoires a été pensé dans une approche transmédiatique où l’ensemble des supports sont reliés par un fil narratif, mais, chacun d’entre eux peut être consulté indépendamment.
- Le jeu propose différents niveaux de lectures. Un niveau de sensibilisation simple avec le site web, une proposition de parcours ludique et interactif et une participation active dans le cadre d’ateliers. Conçu pour les enfants, il reste néanmoins assez riche et ludique pour s’adresser à tous.
Téléphone en main, le parcours du château de Cadillac téléchargé sur l’appli, nous commençons notre visite dans la cour du château. Le graphisme de l’application est adapté aux enfants, l’univers (personnages et couleurs) ressemble à celui de bandes dessinées jeunesse.
Dès le lancement du parcours, nous découvrons notre mission : retisser les fils de l’histoire du duc d’Épernon pour que le château puisse être construit. Nous nous lançons dans notre quête en suivant le hibou à travers les différentes pièces du château. La navigation sur l’appli est simple et ergonomique ; seul bémol, les vidéos s’affichent en très petit format. Les pièces se succèdent avec à chaque fois une explication sur l’histoire de la famille du duc, du château ou du mobilier puis un jeu qui nécessite d’observer ce qui nous entoure. Parmi ces jeux, on nous propose de retrouver les différences entre l’aile gauche et l’aile droite du château, les différences entre l’image qui s’affiche à l’écran et le tableau ou la tapisserie que nous avons devant les yeux, retrouver un élément affiché à l’écran dans la pièce ou encore de répondre à des questions sur le contexte historique lu précédemment.
ON A AIMÉ
Prise en main rapide
Les illustrations
La médiation adaptée à la cible
ON A MOINS AIMÉ
Format des vidéos, trop petit
Énigme finale un peu trop complexe
options de configuration Ouvert
Notre coup de cœur
Le hibou grand duc, tant pour son graphisme que sa narration
Ces différents exemples illustrent donc différents traits inhérents à une expérience de jeu : l’importance de l’univers fictionnel et de la narration, la nécessité de faire le lien avec le lieu et ses collections dans une approche « située », l’établissement de règles du jeu partagées avec les participants et d’un objectif à atteindre clair (et atteignable), la mise à disposition d’indices et d’épreuves tout le long du parcours. Ces différents projets démontrent, par ailleurs, la diversité d’expériences envisageables selon la technologie ou l’approche choisie : réalité virtuelle, augmentée ou transmédiatique. Cette diversité permet d’envisager un panel d’interactions très diversifiées avec le lieu, ses espaces, ses équipes, ses collections ou ses autres médiations.
Antoine ROLAND
Directeur adjoint de l’Abbaye aux Dames.
En quelques mots, pouvez-vous présenter l’Abbaye aux Dames (bref historique, projet éducatif et artistique, visitorat…) ?
« Depuis sa fondation en 1047, l’Abbaye aux Dames a porté haut les valeurs de spiritualité et d’entreprise. Des puissantes abbesses, qui frappaient monnaie et portaient la crosse, à la cité musicale du XXIe siècle, labellisée Centre Culturel de Rencontres, l’Abbaye aux Dames s’inscrit dans un mouvement constructif et créatif.
L’association l’Abbaye aux Dames, la cité musicale prolonge un millénaire de rayonnement qui bénéficie à la ville de Saintes et plus largement aux territoires alentour. L’Abbaye aux Dames est un bien commun. Son patrimoine bâti est propriété de la ville de Saintes. L’entité Abbaye aux Dames est gérée par une association d’intérêt général à but non lucratif.
Aujourd’hui cité musicale, elle en a toutes les composantes :
- économiques : véritable entrepreneur, elle est un acteur économique de premier plan avec notamment les retombées du Festival de Saintes : chaque été, plus de 2 millions d’euros pour la ville et l’agglomération,
- sociales et éducatives : elle participe activement à une politique de sensibilisation culturelle et ouvre le site à des publics très variés. Elle propose des formations musicales d’envergure internationale,
- culturelles : elle développe des activités innovantes pour favoriser l’accès de tous les publics (habitants du territoire, touristes…) à la culture.
L’Abbaye aux Dames, la cité musicale a accueilli en 2019, 50 000 visiteurs toutes activités confondues. »
Quelle est la genèse et les différentes étapes de développement du projet Musicaventure ?
« À la fin des années 2000, l’association entreprend de profonds changements avec la rénovation de l’accueil au centre de la cour et la réhabilitation de premières salles. L’objectif premier est de doter le Centre Culturel de Rencontre de moyens de développement par la ressource propre pour pérenniser son projet artistique autour de la musique (Festival et Jeune Orchestre de l’Abbaye). S’ensuit au début des années 10, la création d’un fond de dotation et la mise en œuvre d’un projet économique et touristique avec la mise en place d’un service commercial (hôtel, salles et boutique culturelle). Depuis 2011 les ressources propres de l’association ont doublé.
En 2014, la nécessité d’une offre de visite reliée au projet musical nous ont conduit à la mise en œuvre du projet Musicaventure. En effet, alors que le succès du festival ne se dément pas et que le Jeune orchestre de l’Abbaye poursuit son activité pédagogique avec réussite (+ de 80% des étudiants du JOA sont insérés professionnellement), la visite audioguidée du monument proposée jusqu’en 2016 est centrée sur l’architecture et l’Histoire avec un grand H, sans évoquer les 50 dernières années musicales des lieux. L’audioguide classique, unique proposition d’alors, laisse de côté l’histoire contemporaine de l’abbaye : la Musique. Ce patrimoine immatériel a sauvé de l’oubli et de la destruction ce monument emblématique de la ville dans les années 1980 et le visiteur n’est pas informé. L’esprit des lieux, dont l’essence est la musique n’est pas valorisé.
Le conseil d’administration décide en juillet 2014 la mise en place d’un plan d’action pour l’ouverture d’une nouvelle offre de visite au printemps 2016. Le projet Musicaventure est né. »
Projet inédit dans sa dimension participative, pourriez-vous nous expliquer comment avez-vous organisé et piloté la concertation des acteurs de votre territoire pour imaginer la feuille de route du projet ?
« En 2013, accompagnée par l’agence Loufactory, l’équipe de l’abbaye effectue un travail de positionnement de communication de l’Abbaye aux Dames. Le sous-titre de « Cité Musicale » apparaît alors. Le projet de l’Abbaye aux Dames rassemble tous les attributs d’une cité : la culture, le culte, l’éducation, l’habitat, le commerce. C’est avec cette approche transversale que le projet de Musicaventure va être mis en œuvre.
Le casting du comité de pilotage du projet devant être la représentation de cette diversité d’usagers, de public et de clients du site, nous avons réuni des représentants de chacune des dimensions de la cité avec les partenaires publics au sein d’un même comité (commerces, habitants, centre social, paroisse…). Entre juillet 2014 et janvier 2015, le comité s’est réuni tous les mois avec des ateliers thématiques (les publics, les contraintes d’espaces et de temps, les protocoles de visites qui respectent les usages de tous, le rapport fond et forme…).
Après examen des 10 projets proposés, le comité de pilotage fait le choix de son écriture par un consortium composé de trois sociétés (AG studio, Modulo digital et Narrative). Musicaventure sera composé de 5 modules avec pour objectif d’atteindre en 2024 50 000 visiteurs. »
Quels sont les patrimoines tant matériels qu’immatériels de l’Abbaye valorisés par ce projet ?
« Musicaventure donne à vivre des expériences sensorielles et connectées de l’abbaye, une nouvelle conception de la découverte patrimoniale et de la musique. Véritable trait d’union entre la musique et le loisir, ce projet valorise le patrimoine immatériel des lieux, la musique et le patrimoine, matériel bâti. Les Voyages sonores 3D en particulier permettent une immersion totale grâce au son 3D et à l’approche narrative, sans pour autant déconnecter le visiteur de la beauté des lieux. La spatialisation sonore proposée plonge le spectateur au cœur de l’histoire sans filtre d’écran, son regard est conduit sur l’architecture par l’image sonore du voyage. C’est vertueux, le répertoire musical de la cité musicale est valorisé par la beauté de l’Abbaye. »
Quels sont les différents projets de Musicaventure ?
« Musicaventure constitue une offre touristique de premier plan de par son originalité, ses formats innovants et la diversité des publics concernés (familles, groupes d’amis, scolaires…).
- Les Voyages Sonores : 12 étapes au sein de l’abbaye pour 2 voyages, « initiatique » et « héroïque ».
- Les Siestes Sonores : au cœur de l’abbatiale et dans les jardins l’été, pour retrouver les concerts emblématiques du festival confortablement installé dans un transat.
- Le Carrousel Musical : un manège onirique doté d’instruments numériques géants et qui permet, en famille ou entre amis, de composer une mélodie originale.
- Le Festival Virtuel : une expérience 3D qui place le visiteur au cœur de l’orchestre à côté des musiciens et du chef. »
Les futurs développements :
- La plateforme pédagogique (2020) : l’Abbaye aux Dames va créer une « plateforme numérique pédagogique ». Elle aura pour objectif de proposer des contenus diversifiés pour les enseignants et encadrants afin de préparer les visites et réaliser des ateliers autour de Musicaventure. Entièrement gratuite, elle sera composée en 2020 d’éléments pour les Voyages Sonores et le Carrousel Musical.
- Le parc d’aventures urbaines et musicales (intitulé provisoire) (2021/2022) : ce nouveau module est un outil pédagogique et ludique pour comprendre les mécanismes de la composition et de l’inspiration musicale. Les participants, équipés de casques et d’appareils connectés, partiront en expédition à la chasse aux sons sur le site de l’Abbaye et dans les quartiers alentours. Ils pourront ensuite créer une composition musicale à partir des sons capturés.
- La « Musicothèque » (2023/2024) : conçu en partenariat avec l’INA et Radio France, cet équipement permettra d’explorer plus de 45 ans d’archives de concerts du Festival de Saintes.
Quels sont les résultats obtenus par ces déploiements successifs en termes de fréquentation et de retours d’usages ?
« Depuis 2016, avec l’inauguration successive des voyages sonores (2016) et du Carrousel Musical (2018) la fréquentation du site sur l’offre de visite a été multipliée par 4 et a permis un élargissement des publics avec notamment l’accueil d’un visitorat familial et plus jeune.
Par ailleurs, animé par le désir d’innovation et d’expériences musicales, l’Abbaye peut développer autour de Musicaventure une véritable offre pédagogique et participative pour une médiation musicale et patrimoniale de grande valeur. »
Crédits
Rédaction de l’article et L’entretien : Antoine Roland, {CORRESPONDANCES DIGITALES]
J’ai testé pour vous : service Numérique culturel de la Région Nouvelle-Aquitaine
Photos et illustrations :
- Photo de Une : ©Région Nouvelle-Aquitaine
- Photos Centre François Mauriac, domaine de Malagar : @ Centre François Mauriac de Malagar
- Vidéo Malagar Numérique : @ Centre François Maruriac de Malagar, youtube
- Photo façade Musée Sainte-Croix : © Mickaël Planès / Poitevins.fr : www.poitevins.fr/musee-sainte-croix
- Visuel application Monster Party : @ Emeraude Moinard / Alice Lopion – Musées de Poitiers
- Photo visiteurs utilisant Monster Party : © S. Coussay
- Photos Fabrique à histoires : Abbaye de la Sauve-Majeure, Gironde Abbaye de la Sauve-Majeure, Gironde © Pinpin CC BY-SA 3.0 / Château de Cadillac @ Région Nouvelle-Aquitaine / Tour Pey-Berland Bordeaux @ Geoff Livingston, Flickr