Culture & Patrimoine
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Jardin sculpté de Gabriel Albert

Le jardin de Gabriel à Nantillé, une danseuse

Dans le hameau Chez-Audebert, à Nantillé, commune rurale du Pays des Vals de Saintonge en Charente-Maritime, le Jardin de Gabriel attire le regard des automobilistes circulant sur la route départementale 129. Ce jardin est peuplé de centaines de statues et bustes, de taille humaine, réalisés entre 1969 et 1989 par l’habitant des lieux : Gabriel Albert.

Durant vingt années, cet « habitant-paysagiste » a créé son univers poétique sur ce petit rectangle de terre et réalisé ; son rêve de sculpteur-modeleur; il a construit, aménagé et transformé son espace domestique en une œuvre singulière.

Un jardin singulier en Saintonge, objet d’un inventaire inédit…

Dépouillé d’une trentaine de statues volées, le Jardin de Gabriel subit les dégradations du temps. Afin d’accompagner la commune de Nantillé, propriétaire du site, dans la restitution au public de cette œuvre unique, la Région Poitou-Charentes a mené, en 2009 et 2010, une opération inédite d’inventaire du patrimoine culturel.
Il s’agit de la première enquête d’inventaire consacrée à ce type d’œuvre en France. Elle a porté sur les sculptures en place, ainsi que sur celles disparues, sur la maison, l’atelier et le moulin à vent qui se trouve aussi dans le jardin. Cette étude s’est appuyée sur des travaux antérieurs, ceux de l’ethnologue Michel Valière, en particulier l’entretien que lui a accordé Gabriel Albert en 1991, et ceux de Bruno Montpied, spécialiste de l’art brut et des créations des habitants-paysagistes.

… monument historique depuis 2011…

Après l’étude d’inventaire menée par la Région en 2009-2010, puis la publication « Le Jardin de Gabriel, l’univers poétique d’un créateur saintongeais », le jardin, la maison et 388 statues et bustes ont été inscrits au titre des monuments historiques en 2011. Le Jardin de Gabriel est un des rares sites créés par des artistes autodidactes et protégés au titre des monuments historiques. Il côtoie désormais le Palais idéal du Facteur Cheval ou la Maison Picassiette.

… propriété de la Région depuis 2014 et en cours de valorisation

Sensible au devenir de cette oeuvre, la Région est devenue propriétaire, en 2014, du Jardin de Gabriel, de sa maison et de l’atelier, ainsi que des statues. Avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles, une étude préalable à la restauration des sculptures a été rendue en 2016. Cette étude a livré un diagnostic précis de l’état sanitaire des statues et permet aujourd’hui d’envisager leur restauration, ainsi que la valorisation du site. La Région a lancé, en novembre 2017, les premières mesures d’urgence, visant à mettre à l’abri les 59 statues les plus dégradées, et à restaurer et protéger les autres.

Ces travaux sont une première étape du long processus viant à la conservation du site et son ouverture à un large public, comme le souhaitait son créateur.

420 statues et bustes en ciment

Sur les quelque 420 œuvres créées par Gabriel Albert, le jardin en compte aujourd’hui 388 (202 statues et 186 bustes). Réalisées en ciment armé et le plus souvent peintes, elles figurent un grand nombre d’humains (346) et quelques animaux (42). Les personnages les plus divers ont été portraiturés : personnages historiques, politiques, religieux, de spectacle… ou d’œuvres célèbres (tableaux, contes), ainsi que des femmes, hommes et enfants anonymes : paysans, marins, ouvriers, soldats, danseuses…

Gabriel Albert : du menuisier au sculpteur-modeleur

Gabriel Albert est né en 1904 à Nantillé, près de Saint-Jean-d’Angély, dans une famille d’agriculteurs. Allant peu de temps à l’école, il est, dès son plus jeune âge, attiré par la sculpture et le modelage : il sculpte au couteau une statue en buis, il modèle des vases en argile et fabrique des petits meubles ou des instruments de musique. Adulte, il exerce plusieurs métiers, dont celui de menuisier. En 1941, il vient habiter avec son épouse, Anita Drahonnet (1905-1999), dans le hameau de Chez-Audebert, où il vivra jusqu’à la fin de ses jours. Dès la fin des années 1950, il commence à aménager de manière originale son environnement : pour laisser sa maison à sa fille, il construit à proximité une petite habitation pour lui-même et son épouse, y réalise décor et mobilier, et édifie un moulin à vent décoratif dans le jardin.

Quand il prend sa retraite, en 1969, il retrouve sa passion créatrice pour le modelage et utilise alors un matériau brut : le ciment. Hésitant sur les techniques à adopter, il débute par des pièces faciles à réaliser : des statues d’animaux, des bustes humains et une statue de femme nue. Variant ensuite les sujets – inspirés de la vie quotidienne et de l’actualité – et perfectionnant son art à chaque nouvelle sculpture, il remplit peu à peu son jardin de créations qu’il dispose autour de la maison, du moulin à vent et du bassin d’eau. Il crée aussi les bancs, vasques, pots ou piédestaux. Il grave parfois une date et sa signature sur les socles de ses statues. Il passe la plus grande partie de ses journées dans son atelier, tout occupé à la réalisation de son rêve. Durant vingt ans, il crée ainsi quelque 420 créatures au rendu réaliste et transforme son espace domestique en un jardin poétique qu’il destine à la visite. En 1989, il tombe malade ; il cesse alors de produire et se contente d’entretenir et de faire visiter son jardin. Inquiet du devenir de son œuvre, il la lègue à sa commune natale pour le franc symbolique. Gabriel Albert meurt le 8 mai 2000, à l’âge de 95 ans.

Gabriel Albert : artisan, artiste ? habitant-paysagiste ? inspiré du bord des routes ?

« Habitant-paysagiste », Gabriel Albert l’était assurément. Les « habitants-paysagistes », souvent des ouvriers ou des artisans, exercent une activité créatrice au sein même de leur espace d’habitation et transforment leur jardin et/ou leur maison en une œuvre à part entière. Il a également été qualifié d' »inspiré du bord des routes », au sens où ses sculptures sont offertes au regard des passants. Par l’absence de formation artistique et l’empirisme de ses créations, Gabriel Albert répond aussi pour partie à la définition de l’art brut donnée en 1945 par Jean Dubuffet.

Parmi les nombreuses œuvres insolites et variées existant en France, rares sont celles qui, comme le Palais Idéal du Facteur Cheval à Hauterives et la Maison Picassiette de Raymond Isidore à Chartres, sont protégées au titre des monuments historiques. Outre l’abondance de sujets et de thèmes représentés dans un espace réduit, le Jardin de Gabriel se distingue de ces ensembles aux formes multiples par une inventivité, un rendu réaliste et une mise en scène ordonnée qui instaurent un dialogue singulier avec le spectateur. C’est ainsi que s’exprime la magie du Jardin de Gabriel, univers poétique d’un créateur saintongeais.

Son atelier

Simple abri en tôle situé à l’arrière du jardin, l’atelier de Gabriel Albert abrite encore les secrets de fabrication du créateur : ses outils, ses sources d’inspiration (magazines, journaux, catalogues de mode…), les matériaux qu’il utilisait. Des séries de visages et de mains en attente de leur corps et des statues inachevées sont encore présentes sur les étagères et sur l’établi.

Ses techniques de fabrication
Statue inachevée qui révèle la structure creuse et l’armature métallique. © Région Poitou-Charentes, Inventaire général / T. Allard, 2009.
Gabriel Albert a mis au point ses propres techniques de fabrication, en s’appuyant sur quelques principes de base tirés de livres. Une statue inachevée montre l’armature métallique qui en constitue le squelette. Le modelage était réalisé avec du ciment blanc de type Portland et du sable de Cadeuil, issu des carrières de Saint-Sornin (Charente-Maritime). Quant aux couleurs, elles étaient soit teintes dans la masse au moyen de pigments d’oxydes, soit peintes sur ciment sec, ce qui est le cas de la majorité des œuvres.
Gabriel Albert réalisait un buste en cinq jours environ, alors qu’il lui fallait huit à quinze jours de travail pour une statue. Il portait beaucoup d’attention aux visages et s’attachait à les rendre expressifs. Une fois l’œuvre terminée, il la disposait dans le jardin et, le plus souvent, ne la déplaçait plus.

Ses sources d’inspiration

Gabriel Albert s’est inspiré de scènes de la vie villageoise et de son univers quotidien pour la réalisation des statues de personnages anonymes. Il trouvait aussi des sources d’inspiration dans de nombreux ouvrages imprimés : les photographies tirées de journaux et de magazines l’aidaient à modeler les statues des personnages célèbres et les catalogues de mode, récents ou anciens, lui offraient de nombreux exemples de vêtements.

Quelques œuvres d’art l’ont également inspiré, comme La Naissance de Vénus de Botticelli et L’Angélus de Jean-François Millet, dont il possédait des reproductions.

Sa maison, le moulin de ses amours…

Une dizaine d’années avant sa retraite et le début de la fabrication de ses statues, Gabriel Albert a construit la petite maison située au milieu de la propriété. Les nombreux éléments décoratifs originaux qu’il y intègre, témoignent de sa soif de création : le sol en béton peint de vaguelettes colorées, les encadrements des ouvertures et les angles de la maison rehaussés de traits de peinture rouge ou bleue, la souche de cheminée en zinc…

À l’intérieur, le menuisier a fabriqué les meubles en bois et assemblé deux cheminées en pierre (dont l’une s’inspire d’un modèle trouvé dans un livre de bricolage). À la même époque, il a aussi édifié dans son jardin, au-dessus d’un ancien puits, un moulin à vent décoratif.

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