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Improvisation musicale et technologies

Photo de Pawel Czerwinski sur Unsplash
Mis à jour le 19 janvier 2024

La Région Nouvelle-Aquitaine, l’Ircam, l’association Improvisation et technologie et le festival d’Uzeste ont organisé un temps dédié à l’interaction visuelle et sonore le 13 août 2023 à Uzeste (33) lors de l’évènement Improtech 2023.

Dans le cadre de sa mission de terrain de développement du numérique culturel, la Région Nouvelle-Aquitaine accompagne ses lauréats dans la mise en réseau et l’essaimage des solutions expérimentales financées par le dispositif Cultures Connectées (CCNA). Elle co-organise avec des professionnels de la culture des évènements destinés à favoriser la découverte des projets et la mise en lien des opérateurs.

La table ronde

La table ronde

Une table ronde « Musique à voir » dédiée aux projets musicaux intégrant des nouvelles technologies a permis aux lauréats Cultures Connectées d’échanger avec deux invités exceptionnels : les professionnels Miller Puckette (spécialiste d’interaction audiovisuelle) et Shlomo Dubnov (chercheur en intelligence artificielle) lors de la 10e édition des rencontres internationales professionnelles Improtech portées par l’Ircam.

Les musiciens labellisés CCNA présents sur cette table ronde :
||| Jean-Marie Colin,
||| Damien Skoracki,
||| Youri Fernandez et Fred Faure,
||| David Couturier.

L’animation de cette table ronde a été faite par Marc Chemillier, Directeur d’études de l’EHESS Chaire Anthropologie des connaissances, modélisation des savoirs relevant de l’oralité, Président de l’association Improvisation et technologie

Ce que les technologies musicales donnent à voir

Ce que les technologies musicales donnent à voir

Le festival d’Uzeste en Gironde a accueilli le 13 août 2023 un panel de musiciens lauréats du programme Cultures Connectées co-piloté par la Région Nouvelle-Aquitaine et la Direction Régionale des Affaires Culturelles. Leurs projets étaient présentés à l’occasion d’une table ronde du workshop international IMPROTECH qui se tenait pendant trois jours en ouverture du festival d’Uzeste. De nombreuses personnalités chercheurs et musiciens travaillant dans le domaine du numérique étaient rassemblées pour cette manifestation co-organisée par la Compagnie Lubat d’Uzeste et l’IRCAM à Paris avec le soutien financier de l’Agence nationale de la recherche (projet MERCI) et du Conseil européen de la recherche (projet REACH).

Faisant suite au programme aquitain qui accompagnait la numérisation des collections patrimoniales, l’appel à projets Cultures Connectées Nouvelle-Aquitaine accompagne depuis 2020 les expérimentations hybrides du secteur culturel intégrant des nouvelles technologies dans des projets de création artistique ou de médiation culturelle. En 2017, la Compagnie Lubat avait reçu un financement Cultures connectées pour le projet Jazz augmenté à l’origine du livre-CD Artisticiel. Les projets lauréats 2020, 2021, 2022 et présentés à IMPROTECH mettaient l’accent sur l’hybridité sons-images, renvoyant ainsi au thème de la table ronde : « Ce que les technologies musicales donnent à voir ». Une conférence de Shlomo Dubnov de l’Université de San-Diego a introduit le sujet avec quelques réflexions pénétrantes sur ce que l’intelligence artificielle peut donner à voir dans les pratiques musicales. Les lauréats Cultures connectées ont présenté tour à tour leurs projets et retours d’expérience, puis la matinée s’est terminée par des discussions passionnantes avec des spécialistes de la relation son-image comme Georges Bloch et Sabina Covarrubias, et un invité exceptionnel : l’américain Miller Puckette, inventeur des deux logiciels phare de l’informatique musicale Max et Pure Data.

IA et signaux visuels pour l’improvisation musicale

IA et signaux visuels pour l’improvisation musicale

La conférence introductive de Shlomo Dubnov abordait la question des signaux visuels que les musiciens s’échangent sur scène pour se coordonner (mouvements de la main, de la tête, du regard, etc.). Les signaux de ce type font partie du spectacle que le public vient « voir » quand il va au concert. Shlomo Dubno a cité aussi l’exemple des signaux visuels avec lesquels des musiciens expérimentés comme Bobby McFerrin ou Jacob Collier sont capables de faire chanter tout le public d’une salle en le transformant en chœur polyphonique. Spécialiste internationalement reconnu de l’IA dans les arts, Shlomo Dubnov a montré comment des signaux de ce type pouvaient être pris en charge par l’IA. Il a cité l’exemple fascinant du robot vibraphoniste Shimon du Georgia Institute of Technology qui se dandine quand on répète un son régulièrement pour capter le rythme et improviser dessus. Dans une émission de télévision hilarante, le présentateur Stephen Colbert commente en disant que le robot est programmé non seulement pour jouer du jazz, mais aussi « pour l’apprécier… ! ». Enfin, Shlomo Dubnov a présenté le projet ImproVision avec Ross Greer : un système visuel-robotique qui est entraîné pour reconnaître, réagir et communiquer via un ensemble de gestes non verbaux, de sorte que des musiciens humains puissent effectuer des échanges créatifs avec un système d’IA pendant une performance.

Vidéo extraite de la conférence de Shlomo Dubnov :

Les projets

LES PROJETS

Projet Mirror avec Jean-Marie Colin (Bordeaux)

Jean-Marie Colin du collectif Champs sonores à Bordeaux a improvisé une magnifique performance sur la scène de l’Estaminet d’Uzeste avec le karlax, une sorte de bâton muni de boutons, relié à un ordinateur et contrôlant en même temps des sons et des images. Jean-Marie Colin est à la fois musicien, organiste de formation, et photographe. Son improvisation musicale mélangeant des sons en direct doit beaucoup à sa pratique des registres à l’orgue qui permettent de changer les sons. Le besoin d’y associer des images lui vient de son activité de photographe, il ajoute en direct des filtres sur les images projetées. Cette association image-son est également liée au manque qu’il ressent dans les concert de musique électroacoustique où l’on ne voit que des haut-parleurs (le terme « acousmatique » veut dire précisément que l’on déconnecte le son de sa source). Dans le projet Mirror, il ajoute un élément scénique avec la participation d’une danseuse hip-hop. Il a démarré pour cela une collaboration avec l’informaticien Bernard Serpette de l’INRIA afin de développer des effets permettant de capter la silhouette de la danseuse et de l’incruster dans les images.

Vidéo de l’improvisation de Jean-Marie Colin avec le Karlax :

Vidéo extraite de la présentation de Jean-Marie Colin :

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Projet Ekosystem avec Damien Skoracki (Poitiers)

Le projet Ekosystem de Damien Skoracki est une installation sonore organique formée de synthétiseurs accrochés dans l’espace public et produisant une musique générative tout au long de la journée en fonction de capteurs environnementaux (ensoleillement, vitesse du vent) ou en interaction avec le public (bruits de pas). Deux vidéos fascinantes ont permis de découvrir comment capter le son des betteraves et comment improviser grâce à un sismographe avec un tas de cailloux sur le sol que l’on déplace avec les pieds. Cette installation veut inviter les gens qui la parcourent à produire de la musique eux-mêmes en s’impliquant dans le processus sonore avec la médiation de la nature. Mélanger les bruits naturels et ceux que produisent le visiteur renvoie bien sûr à la question environnementale car on sait que l’interaction de l’homme avec la nature peut être dangereusement néfaste en termes de déforestation, de réchauffement climatique, de perte de biodiversité, etc. Mais ce que l’on sait moins, et que Damien Skoracki nous rappelle avec beaucoup de poésie et de maturité artistique, c’est que l’interaction avec la nature se produit dès que l’on s’approche d’une plante et qu’on modifie son champs électrique en touchant une feuille. Il cite Victor Hugo : « C’est une triste chose de penser que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas » (Choses vues. Carnets, albums, journaux, Œuvres complètes, vol. 35, tome I, 1870).

Vidéo du projet de Damien Skoracki :

Vidéo extraite de la présentation de Damien Skoracki :

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Projet Shangri-La avec David Couturier (Poitiers)

Le projet du collectif Or normes de Poitiers présenté par David Couturier est un spectacle immersif ambitieux destiné à adapter sur scène une bande-dessinée de Mathieu Bablet en mettant en communication la musique avec les dessins. La mise en scène est de Christelle Derré et la musique de Vincent Girault. Sur scène, trois musiciens, parmi lesquels David Couturier guitariste et concepteur du dispositif, et un régisseur technique, sont placés aux quatre coins d’un espace rectangulaire formé de quatre écrans. À l’intérieur de cet espace, le public est assis sur des sièges pivotant permettant de choisir quel écran regarder. Les dessins projetés sur les écrans reconstituent le déroulement de l’histoire. Les bulles de texte de la bande dessinée originale ont été supprimées afin de regrouper tout le texte au même endroit comme dans les bandes dessinées du début du XXe siècle avant l’apparition des phylactères (Sapeur Camembert par exemple). Le but est de faciliter la lecture avec, en complément, certains dialogues qui sont dits par des voix off. Musique et narration peuvent être momentanément déconnectés. Le spectateur peut arrêter de regarder les écrans pour écouter la musique car il n’est pas nécessaire de suivre chaque détail narratif. Il existe une hiérarchie dans la narration où certains détails deviennent des parenthèses que le spectateur peut sauter. L’adaptation du scénario de la bande dessinée originale a été fait par Christelle Derré qui a aussi fixé la répartition des séquences d’images sur les quatre écrans afin de « diriger » le regard du public en imaginant des moyens de capter l’attention du spectateur. La synchronisation son-image utilise le logiciel Chataigne conçu par Ben Kuper à Grenoble qui permet d’interconnecter toutes les machines ensemble comme une sorte de chef d’orchestre. La circulation de la musique dans les haut-parleurs est réalisée avec le logiciel Spat de l’IRCAM.

Vidéo extraite de la présentation de David Couturier :

Teaser vidéo du projet de David Couturier :

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Projet KYF! avec Fred Faure (Bayonne)

Le batteur Fred Faure a présenté le projet KYF! créé par le Dômes Studio de Bayonne. Il s’agit d’un concert augmenté d’interaction musique-vidéo-lumières. La musique est créée en collaboration par le claviériste Kevin Bucquet influencé par les musiques actuelles entendues lors de son séjour à Berlin pendant plusieurs années et le percussionniste Fred Faure passionné de musiques africaines qui a fait plusieurs voyages au Congo et qui a joué du djembé avant de se mettre à la batterie. Les images et les vidéos conçues par Youri Fernandez sont séquencées par un montage improvisé en temps réel à partir d’un clavier MIDI grâce au logiciel Millumim utilisé pour le théâtre. Le logiciel Ableton Live sert à jouer des boucles qui sont prolongées pendant les solos. L’influence de l’Afrique est présente dans ce spectacle, notamment avec l’utilisation « virtuelle » de la sanza, un instrument africain à lamelles résonantes, montrée dans la vidéo du spectacle projetée durant la table ronde. Les images ne sont pas des séquences fixes, mais des vidéos générées en temps réel. Pour la séquence de sanza, les pouces du musicien jouant l’instrument ont été photographiés sur les différentes lamelles et les sons ont été échantillonnés. On peut ainsi « faire jouer » la sanza artificiellement à partir d’un clavier MIDI et les images correspondantes s’affichent sur l’écran. D’autres éléments africains sont incorporés dans le spectacle, notamment des danseurs qui ont été filmés et qui apparaissent dans la partie vidéo comme une sorte de chorégraphie.

Vidéo extraite de la présentation de Fred Faure :

Teaser vidéo du projet de Fred Faure :

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Débats conclusifs avec les participants d’IMPROTECH

Débats conclusifs avec les participants d’IMPROTECH

La table ronde se concluait par un débat stimulant animé par Georges Bloch qui avait d’emblée lancé une question provocatrice : dans les spectacles associant musique et image, qui a le pouvoir ? Cette question de l’équilibre et des relations de pouvoir entre sons et images est apparue comme l’un des thèmes principaux du débat et de fait, c’est une question centrale dans toute expérimentation de création artistique hybride intégrant les nouvelles technologies. L’autre thème qui a été discuté par la suite était plus technique. Il concernait les modes d’interaction entre sons et images dans de tels projets et les possibilités de dépasser le simple transcodage (scaling ou mapping) entre paramètres musicaux et visuels qui est parfois trop redondant. Les participants du Workshop international IMPROTECH, une cinquantaine de chercheurs et d’artistes venus du monde entier, ont pris part à ce débat en lui donnant une portée très large qui mettait bien en valeur les très beaux projets Cultures connectées présentés tout au long de la matinée.

Vidéo complète du débat :

Crédits

Texte : Marc Chemillier (association Djazz)

Crédits pour les vidéos tournées à l’Estaminet d’Uzeste, 13 août 2023 dans le cadre du workshop international IMPROTECH lors du festival d’Uzeste Hestejada de las arts :
Prise de vue : Yohann Rabearivelo, Delphine Duquesne
Prise de son : Nicolas Blondeau
Montage : Marc Chemillier (association Djazz)
Avec le soutien de l’ERC REACH, de l’ANR MERCI et d’Uzeste musical.

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